Évolution de la conciliation famille-travail
Même au début des années 2000, le terme n’était utilisé que par les chercheurs. Dans les organisations, il était surtout question de qualité de vie au travail.
On peut situer le début de l'enjeu de la conciliation famille-travail (CFT) au Québec dans le milieu des années 1970. De la fin de la deuxième guerre mondiale à ce moment, le Québec, comme beaucoup d’autres sociétés occidentales, évolue selon le modèle où l’homme assume le rôle de pourvoyeur et la femme est responsable du foyer et de l’éducation des enfants. À l’époque, les frontières entre l’univers privé et l’univers public étaient très claires.
Les femmes qui participent au marché du travail le font par obligation, tardivement ou de façon discontinue, au rythme des naissances et des responsabilités éducatives qui en découlent, au moins jusqu’à ce que les enfants intègrent le système scolaire.
La crise pétrolière de 1973 suivie de la mondialisation et de l’ouverture des marchés, du développement de l’économie du savoir et de la délocalisation de la fabrication industrielle de masse contribuent à faire du travail rémunéré des femmes un impératif financier. Deux revenus sont dorénavant nécessaires pour maintenir le pouvoir d’achat des familles.
L’accroissement de la participation des femmes au marché du travail finit par avoir un impact sur l’ensemble de la société. Celles-ci sont désormais de moins en moins nombreuses à être disponibles pour prendre soin, et ce gratuitement, des tout-petits comme de leurs autres proches fragilisés par le vieillissement ou la maladie. Par ailleurs, le Québec est toujours aux prises avec des enjeux démographiques. En effet, après avoir été un des endroits au monde où le taux de natalité était un des plus élevés, celui-ci tombe en chute libre.
Les réalités familiales évoluent aussi rapidement. Séparation, monoparentalité, recomposition contribuent à multiplier les configurations possibles.
Pendant les années 1980, la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales est considérée comme un problème qui touche spécifiquement les femmes. Les solutions proposées se concentrent sur une meilleure organisation personnelle ou une gestion plus efficace de leur relation avec leur conjoint.
La décennie 1990 est témoin des changements technologiques et de la nécessité de maintenir la concurrence au plan mondial. Ce contexte accroît les pressions, tant sur les organisations que sur les travailleurs. Les heures de travail augmentent, les types d’horaires se multiplient de même que les formes d’emploi. Les structures familiales continuent d’évoluer et le pourcentage de travailleurs assumant des responsabilités familiales auprès d’enfants ou d’aînés progresse.
Dans les milieux de travail, on identifie de mieux en mieux les impacts des difficultés à concilier les responsabilités professionnelles et familiales : absentéisme, perte de productivité, roulement de personnel, les coûts s’additionnent. On cerne peu à peu la responsabilité de l’employeur et les moyens disponibles pour diminuer un peu la tension ressentie par les employés.
En 1997, la mise en place des services de garde à contribution réduite a participé à simplifier la conciliation famille-travail pour un bon nombre de familles québécoises. Cette mesure fait aussi du Québec un des endroits au monde où le nombre de mères de jeunes enfants sur le marché du travail est le plus élevé.
Cette situation impose une adaptation aux employeurs, mais aussi aux autres secteurs de la société qui ne peut plus fonctionner comme lorsqu’une personne était complètement dédiée au fonctionnement de la sphère privée. Les horaires des services doivent s’ajuster.
En 2006, l’entrée en vigueur du Régime québécois d’assurance parentale s’ajoute comme mesure supplémentaire. Une des intentions est de favoriser l’engagement des pères dans la vie de leurs enfants. Et ça fonctionne. Aujourd’hui, de plus en plus d’hommes sont pleinement investis auprès de leur famille.
À partir de 2010, les conséquences du vieillissement de la population se font de plus en plus sentir. Cette situation combinée à l’allongement de l’espérance de vie, favorise un accroissement des besoins de soutien et de plus en plus de travailleurs doivent donner des soins à des proches fragilisés ou en perte d’autonomie. Certains d’entre eux doivent même conjuguer cette responsabilité avec les soins à leurs propres enfants.
Dix ans plus tard, le marché du travail est aux prises avec une croissance économique exceptionnelle, doublée de départs massifs à la retraite. Selon toutes les apparences, la prochaine décennie sera caractérisée par la pénurie de main-d’œuvre. La conciliation famille-travail est maintenant sur toutes les lèvres. Des données récentes nous confirment que les mesures visant à la favoriser sont incontournables pour recruter et retenir les employés. En effet, en 2018, un sondage réalisé auprès de 3000 travailleurs ayant des responsabilités familiales a révélé que 55 % d’entre eux étaient prêts à changer d’emploi pour un autre leur offrant de meilleures mesures de CFT. De plus, 37 % accepteraient une baisse de salaire pour la même raison.
Ce sondage a aussi permis de confirmer que les membres de la génération Y ont des attentes différentes. Plus question, pour eux, de sacrifier la famille pour le travail. Chacune des expériences mérite être pleinement vécue. Leurs attentes en termes de disponibilité des mesures de CFT sont élevées.
Par ailleurs, des recherches ont démontré, au cours des dernières années, que les employeurs remarquent des effets positifs attribuables à la mise en place de mesures de CFT tels que l’augmentation de la satisfaction et de la motivation au travail, l’amélioration du climat de travail, la baisse de l’absentéisme et la hausse de la productivité. De plus, les organisations ayant adopté une approche formelle pour déterminer les mesures à mettre en place semblent remarquer de plus grands avantages à la mise en place de ces mesures.
C’est dans cette perspective que le Réseau pour un Québec Famille a lancé, en octobre 2019, le tout nouveau Sceau Concilivi, reconnaissance en conciliation famille-travail. Celui-ci a comme objectif de reconnaître et promouvoir les organisations ayant réalisé une démarche correspondant aux meilleures pratiques en matière de CFT afin de les aider à attirer et fidéliser les travailleurs pour qui il s’agit désormais d’un critère prépondérant.
L’obtention et l’affichage du Sceau devient, pour ces organisations, un moyen de se démarquer de la concurrence et d’enrichir leur marque employeur. Assorti d’une offre de formation et d’accompagnement, le programme permet en outre de soutenir les organisations aux différentes étapes de la réalisation de leur démarche.
Enfin, le centre d’expertise Concilivi en conciliation famille-travail, autre initiative du Réseau, a été constitué afin de soutenir l’avancement de la connaissance sur les meilleures pratiques en CFT adaptées aux différents secteurs d’industrie. Et, parce que certaines organisations sont créatives, les travaux du centre permettront de diffuser les solutions de CFT innovantes que certaines ont expérimenté.
Dans un souci de rendre la démarche du Sceau accessible au plus grand nombre d’organisations, le programme propose un processus d’adhésion simplifié, en quatre étapes. Toutes les informations se retrouvent sur le site www.concilivi.com
Texte publié en page 3 du AXE Magazine de mars 2020
Références
Conseil de la famille et de l’enfance (2003) Enquête : Famille-travail, comment conciliez-vous, Québec
Conseil de la famille et de l’enfance (2004) Mémoire présenté dans le cadre de la consultation « Vers une politique gouvernementale sur la conciliation travail-famille » Québec
Gouvernement du Québec (2017) Les pratiques d’affaires des employeurs en matière de conciliation travail-famille : une étude exploratoire réalisée auprès de quelque 8 000 employeurs québécois appartenant à une quarantaine de secteurs d’activité́
Léger (2018) Sondage Pan-Québec sur la conciliation famille-travail, réalisé pour le compte du Réseau pour un Québec Famille
St-Amour, Nathalie (2010) Vers une politique de conciliation travail-famille au Québec : des enjeux complexes en évolution, Thèse de doctorat, Université de Montréal