Parole d’expert : « L’exercice du droit de gestion implique d’être juste et équitable. »
Auteur.e
Karine Dutemple, rédactrice
chez Pratiques RH
Si un employeur peut mener ses troupes vers le succès, encore faut-il qu’il respecte certaines règles établies par la Loi sur les normes du travail. Comment encadre-t-elle le droit de gestion ?
Le droit de gestion
PRH : En quoi consiste le droit de gestion ?
Me Thomas Campbell : La relation d’emploi entre l’employeur et le.la salarié.e implique un lien de subordination, duquel émane le droit de gestion. Cela fait partie de ce qu’on appelle « les prérogatives légitimes de l’employeur ».
C’est un pouvoir de nature discrétionnaire qui confère à l’employeur une marge de manœuvre pour diriger son équipe et organiser les activités de son entreprise.
Le droit de gestion concerne notamment l'imposition de règles, de procédures de travail, l'évaluation du rendement ainsi que le contrôle de la qualité du travail que les employé.e.s accomplissent.
PRH : Comment la Loi sur les normes du travail encadre-t-elle le droit de gestion ?
T.C. : L’objectif de la Loi sur les normes du travail, c’est d’offrir aux salarié.e.s un seuil minimal de conditions de travail. Elle va s’appliquer indépendamment du milieu de travail, même lorsque celui-ci est soumis à une convention collective, car les normes minimales du travail y sont intégrées.
Le personnel va bénéficier de ces normes-là et aucun employeur ne peut y déroger, même si un.e salarié.e donnerait son accord. Dans le cas où une personne accepterait une condition de travail moindre, cette entente serait considérée comme n’étant pas écrite et n’aurait aucune valeur juridique.
Même si un contrat de travail ou une convention collective ne prévoit pas l’inclusion des normes du travail comme le salaire minimum ou la durée minimale des vacances, ces règles sont considérées comme étant implicitement incluses dans le contrat de travail. Il en est de même lorsque la relation d’emploi n’est pas constatée par écrit.
La Loi sur les normes du travail encadre le droit de gestion en imposant les normes minimales qu’il doit respecter.
PRH : Quelles sont les limites imposées par la Loi sur les normes du travail et le droit de gestion ?
T.C. : La Loi sur les normes du travail impose plusieurs limites au droit de gestion. Ces dernières concernent le salaire minimum, mais aussi la manière dont le salaire est versé et la fréquence à laquelle il doit l’être.
D’autres limites importantes sont notamment fixées concernant la durée du travail, les jours fériés, les congés annuels payés, les vacances, les périodes de repos, les absences pour différentes causes (maladie ou raisons familiales) et le harcèlement psychologique.
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PRH : Quelles sont les conséquences applicables pour l'employeur en cas de non-respect des limites ?
T.C. : Si l'employeur applique une mesure ou prévoit une disposition dans une politique, un contrat de travail ou une convention collective qui serait contraire aux normes, elle est sans effet juridique, donc réputée non écrite.
La Loi sur les normes du travail prévoit différents recours si ces limites ne sont pas respectées comme un recours civil pour un salaire qui ne correspond pas aux normes minimales, par exemple.
Il existe également la plainte pour pratique interdite. Il s’agit d’un recours prévu à la Loi sur les normes du travail pour sanctionner un employeur qui pénalise un.e employé.e, entre autres parce que cette personne a exercé un droit prévu par la Loi sur les normes du travail.
Cela couvre notamment une situation où un.e employé.e serait congédié.e ou aurait subi une mesure de représailles, parce qu’il ou elle a signalé une situation de harcèlement. Parfois, la mesure peut être une rétrogradation ou une perte de condition.
Il y a également le recours pour harcèlement psychologique ou sexuel ainsi que celui pour un congédiement sans cause juste et suffisante. Les conventions collectives prévoient des recours équivalents à ces derniers.
Le congédiement sans cause juste et suffisante : des exemples
- Un employeur procède à un licenciement pour un motif économique, mais engage quelqu’un d’autre au même poste et au même salaire, quelques semaines suivant le départ de l’employé.e.
- Un.e salarié.e voit son nombre d’heures réduit et son salaire diminué, ce qui peut être considéré comme un congédiement déguisé.
Si la CNESST reconnaît qu’il y a eu un manquement de l’employeur concernant les dispositions prévues à la Loi sur les normes du travail, des sanctions pénales peuvent être imposées. On parle d’amendes pouvant aller de 600 à 1200 $ pour une première infraction, puis jusqu’à 6000 $ en cas de récidive.
PRH : Comment le droit de gestion encadre les mesures disciplinaires ?
T.C. : L’employeur qui embauche des salarié.e.s a un pouvoir de direction sur ces personnes pour que le travail soit effectué selon ses attentes et en fonction des besoins de l'entreprise.
Le droit d’imposer des mesures disciplinaires si cela n’est pas le cas découle du lien de subordination et donc, directement de son droit de gestion. Un.e employé.e qui ne rencontre pas les attentes en raison d’un manque de compétences peut faire l’objet de mesures administratives.
Si l’employé.e n'exécute pas le travail selon les attentes exprimées par l'employeur de manière volontaire, par insubordination par exemple, il peut imposer des mesures disciplinaires.
« Le droit de gestion doit être exercé de manière raisonnable, c’est le test applicable devant les tribunaux. »
Pour déterminer si c’est le cas, on va comparer la sanction qu’aurait appliqué un employeur raisonnable, placé dans les mêmes circonstances. Il s’agit d’une norme à la fois abstraite et objective.
Toutefois, un employeur raisonnable peut se tromper et imposer une mesure trop sévère et mal fondée selon les faits portés à sa connaissance. Voilà pourquoi la jurisprudence reconnaît que l’utilisation raisonnable du droit de gestion ne s’évalue pas nécessairement selon le sort éventuel des mesures disciplinaires appliquées.
Néanmoins, il est entendu qu’un employeur raisonnable n'aurait pas eu l'intention de nuire à un.e employé.e en s’acharnant sur lui ou elle, par exemple. L’exercice d’un bon droit de gestion implique d’être juste et équitable, entre autres.
PRH : En cas de congédiement administratif, est-ce que l’absence d’une gradation des sanctions peut donner lieu à des poursuites ?
T.C. : Pour ce qui est du congédiement administratif, on applique plutôt les critères de l'arrêt Costco. Il s’agit d’un arrêt de la Cour d'appel du Québec qui est venu établir les mesures que doit prendre un employeur avant de procéder à un congédiement administratif.
Que dit l’arrêt Costco ?
- Le.la salarié.e doit connaître les attentes de son employeur concernant sa prestation de travail ainsi que les politiques de l’entreprise ;
- Le rendement insatisfaisant de l’employé.e lui a été signalé ;
- Un délai raisonnable lui a été laissé pour se réajuster ;
- Le support nécessaire pour s’améliorer lui a été offert ;
- Il a été mis au courant du risque de congédiement en l’absence d’une amélioration de sa part ;
- L’employé.e s’est vu offrir la possibilité d’être réaffecté.e à un autre poste dans l’entreprise, si pareille opportunité était disponible.
Source : Congédiement administratif : l’avènement d’un 6e critère d’analyse ? | RBD Avocats SENCRL.
Pour l’employeur, la gradation des sanctions est une façon de laisser savoir à l’employé.e qu’il.elle a l’occasion de se reprendre et de corriger son comportement. Cela lui permet également de comprendre les conséquences d’une absence d’amélioration, laquelle sera ultimement son congédiement.
PRH : Quels sont les conseils que vous donneriez à un employeur pour exercer sainement son droit de gestion ?
T.C. : Le premier élément que l’employeur devrait avoir en tête quand il exerce son droit de gestion, c’est d’agir avec beaucoup de transparence. Cela implique de mettre ses attentes par écrit, de normaliser les procédures, de rédiger des politiques sur des sujets névralgiques comme l’utilisation de l’intelligence artificielle et les absences.
Ces politiques viennent clairement exprimer quelles sont les attentes de l’employeur par rapport à un sujet donné. L’employé.e ne pourra alors prétendre ne pas être au courant de celles-ci.
Par transparence, j'entends également le fait d’établir clairement ce qui peut faire l’objet de mesures disciplinaires. C'est également important de bien documenter les dossiers disciplinaires. Cela permet à l'employeur de pouvoir effectuer une gradation des sanctions appropriée en fonction des circonstances.
Lorsqu’il s’agit plutôt de la gestion d'un dossier administratif, le fait de documenter les actions prises à l’égard de l’employé.e permet de déterminer si les critères de l’arrêt Costco sont rencontrés.
En étant transparent par rapport aux attentes liées au comportement et au rendement, il sera par la suite plus facile de déterminer si les gestes et actes posés par l’employeur sont en lien ou justifiés par le fonctionnement de l’entreprise.
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