Recours des travailleurs et conséquences pour les employeurs
Christian est développeur de logiciels pour une entreprise qui conçoit des applications mobiles.
Récemment, Christian subit beaucoup de pression de la part de ses supérieurs afin de terminer le développement d’une application pour un nouveau client de l’entreprise. Son supérieur immédiat, David, l’aurait même traité de « lâche » devant tous les autres employés et lui aurait dit que si celui-ci ne terminait pas l’application avant le début de la semaine suivante, « sa carrière serait sérieusement compromise, ici et partout ailleurs ». La pression est si forte que Christian n’arrive plus à se concentrer au travail et peine à dormir plus de quatre heures par nuit. Il consulte son médecin, qui pose le diagnostic de trouble de l’adaptation causé par du harcèlement psychologique et recommande un arrêt de travail d’une durée indéterminée. Avec de plus amples détails sur la situation de Christian, un tribunal pourrait conclure que la situation de Christian constitue du harcèlement psychologique. Quels sont les recours de Christian et surtout, quelles sont les conséquences de ces recours pour l’employeur ?
Le travailleur qui se prétend victime de harcèlement psychologique et pour lequel un diagnostic est posé a généralement deux recours. Il peut déposer une plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») dans les deux ans de la dernière manifestation de la conduite de harcèlement psychologique, conformément à la Loi sur les normes du travail1 (ci-après « LNT »). Il peut également entamer la procédure de réclamation prévue à la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles2 (ci-après « LATMP »). Dans les faits, lorsque les travailleurs prétendent être victimes d’une lésion professionnelle découlant d’une situation de harcèlement psychologique au travail, ils combineront habituellement ces deux recours. Il est important de garder en tête que le fardeau de preuve variera pour chaque recours entrepris par le salarié. Regardons chacune des trois possibilités individuellement.
1. Le salarié qui dépose une plainte pour harcèlement psychologique
Le Tribunal administratif du travail (division des relations du travail), lorsque le salarié dépose une plainte en vertu de la LNT, pourra exiger les mesures de réparation suivantes de l’employeur, conformément à l’article 123.15 de cette loi:
- La réintégration du salarié;
- Le paiement d’une indemnité pour salaire perdu;
- Une ordonnance imposant à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;
- Le versement de dommages et intérêts punitifs et moraux;
- Le versement d’une indemnité pour perte d’emploi;
- Le financement du soutien psychologique requis par le salarié;
- La modification du dossier disciplinaire du salarié.
À noter qu’un salarié syndiqué passera plutôt pour la procédure de grief et non par le dépôt d’une plainte auprès du Tribunal administratif du travail (ci-après « TAT »). Dans un tel cas, l’arbitre de grief dispose des mêmes pouvoirs que le TAT.
Toujours selon la Loi sur les normes du travail, le TAT pourrait également rendre « toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, incluant le caractère discriminatoire de la conduite ». Il n’est donc pas limité à ce qui est énuméré ci-dessus. Il est rare de voir un salarié déposer uniquement une plainte pour harcèlement psychologique en vertu de la LNT, celui-ci combinera habituellement son recours avec une réclamation pour lésion professionnelle prévue à la LATMP. Par contre, rappelons que le fardeau de preuve n’est pas le même pour ces deux recours. Une situation de harcèlement n’entraine pas nécessairement une lésion professionnelle ou vice-versa. Le salarié dont la lésion professionnelle n’est pas reconnue pourra uniquement bénéficier du recours en vertu de la LNT et, du même coup, uniquement des réparations énumérées ci-dessus. Lorsque la lésion professionnelle n’est pas reconnue, mais que le TAT estime probable que celle-ci le sera, le salarié conservera ses recours monétaires. Le TAT réserva sa décision quant au paiement d’une indemnité pour salaire perdu, pour le versement de dommages et intérêts ainsi que pour le paiement du soutien psychologique3.
2. Le salarié qui fait une réclamation en vertu de la LATMP
Le travailleur qui fait une réclamation en vertu de la LATMP afin d’être indemnisé pour une lésion professionnelle causée par du harcèlement psychologique au travail ne pourra pas bénéficier des réparations prévues par la Loi sur les normes du travail si sa lésion est reconnue à titre de lésion professionnelle, puisque plusieurs aspects seront indemnisés en vertu de la LATMP. Cela n’est pas sans conséquence pour l’employeur, car si la lésion professionnelle est reconnue, il peut être imputé, en totalité ou en partie, des coûts liés à la lésion professionnelle tels les soins, l’indemnité de remplacement de revenu et une atteinte permanente.
En vertu de la LATMP, le travailleur privilégiera ce recours lorsqu’il souhaite plutôt bénéficier d’une indemnité de remplacement du revenu, d’un droit à la réadaptation ou d’un accommodement particulier s’il conserve des limitations4. Le travailleur n’a pas à faire la preuve de l’existence de harcèlement psychologique au sens de la Loi sur les normes du travail, qui peut parfois s’avérer difficile. Il doit seulement démontrer que la situation a provoqué chez lui un accident du travail, c’est-à-dire « un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraine pour elle une lésion professionnelle »5. À noter que cet événement imprévu et soudain n’a pas besoin d’être constitué d’un seul et même incident : plusieurs événements peuvent, lorsqu’analysés globalement, constituer un événement imprévu et soudain6. De plus, il est reconnu que la situation ou la série d’événements doit sortir du cadre habituel, normal ou prévisible d’un milieu de travail pour constituer une lésion professionnelle7. En d’autres mots, il doit démontrer que la situation vécue au travail dépasse ce qu’un travailleur est en mesure de s’attendre dans un milieu de travail.
Lorsque le travailleur conserve des limitations fonctionnelles suite à sa lésion professionnelle, il peut arriver que l’employeur soit tenu de l’accommoder. Bien que l’étendue de cette obligation varie, celle-ci pourrait notamment inclure le transfert du salarié à un poste moins exigeant qui est disponible au sein de l’entreprise ou d’adapter ses conditions de travail, sauf lorsque l’employeur subirait une contrainte excessive s’il accommodait le travailleur. Fréquemment, le TAT ordonnera que le salarié cesse de travailler avec la personne à qui l’on reproche le « harcèlement ».
3. Le salarié qui dépose une plainte en vertu de la LNT combinée à une réclamation en vertu de la LATMP
Afin d’éviter la double indemnisation, le travailleur qui combine les deux recours bénéficiera des avantages prévus à la LATMP que nous avons vus dans la section précédente. Durant la période où il est indemnisé par la CNESST pour une lésion professionnelle, celui-ci ne pourra pas bénéficier d’une indemnité pour salaire perdu, de dommages-intérêts ou du financement pour du soutien psychologique de la part de l’employeur8. Le principe étant que, durant la période où le travailleur est indemnisé par la CNESST, celui-ci bénéficie, directement ou indirectement, des réparations énumérées. Une fois que celui-ci cesse d’être indemnisé par la CNESST, il pourra tirer profit de ces mesures de réparation à l’encontre de l’employeur si le Tribunal administratif estime probable que la situation de harcèlement psychologique ait entrainé la lésion professionnelle9.
À l’inverse, le travailleur qui combine les deux recours pourra bénéficier des avantages prévus à la LATMP et pourra rechercher, directement contre son employeur, des ordonnances comme une réintégration, des moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement, le versement d’une indemnité pour perte d’emploi ou la modification de son dossier disciplinaire. Une combinaison des deux recours peut donc être lourde de conséquences pour l’employeur.
Dans de tels cas, les deux recours étant intimement liés, il est évident que l’employeur a intérêt à se protéger simultanément contre la plainte en vertu de la LNT et de la réclamation prévue à la LATMP. Nous recommandons fortement à tout employeur qui participe à une séance de conciliation de régler les deux recours, vu le lien étroit entre ceux-ci. Il est important de toujours garder en tête les différences dans le fardeau de preuve du travailleur en vertu de chacun de ces recours, car ce n’est pas parce que la réclamation du travailleur pour une lésion professionnelle est acceptée que celui-ci subit réellement du « harcèlement psychologique » au sens de la LNT ou vice-versa.