Le droit de gérance de l'employeur et le harcèlement psychologique

09-09-2020
Dans le cadre de sa gestion d’employés, l’employeur est appelé à intervenir auprès de ses salariés et il doit parfois appliquer des mesures disciplinaires […]
Rédigé par :
Élaine Léger et Cynthia Bachaalani
Gros plan sur un ordinateur portable au bureau avec réunion de gens d'affaires floue et discussion

Voici un exemple de droit de gérance issu de l’affaire Syndicat des employés d'Urgence-santé (CSN) et Corporation d’Urgences-santé 

Les faits

Une répondante médicale ayant plus de vingt-cinq années de service quitte son quart de travail une heure avant la fin de celui-ci après plusieurs discussions avec sa gestionnaire puisque la salariée considère que le nombre d’effectifs est insuffisant à la tâche. Elle justifie son départ hâtif  par sa condition médicale, soit le stress occasionné par la situation.

Un peu plus tôt le même jour, la salariée s’était plainte à son employeur d’un volume d’appels « inhumain » et avait demandé une pause afin de sortir et prendre de l’ibuprofène. Son employeur avait accepté sa demande, bien que celui-ci avait été étonné d’une telle remarque puisque le volume d’appels correspondait au volume d’appels habituels.

De retour à son poste de travail, la salariée et la gestionnaire ont à nouveau une conversation animée sur le nombre d’effectifs requis. La gestionnaire rappelle à la travailleuse qu’il est inapproprié de parler ainsi au cours des opérations devant le personnel et elle l’invite à discuter dans son bureau. 

La salariée poursuit sa lancée et répète à sa gestionnaire que le rendement est « totalement inhumain » et que sa charge de travail est trop élevée, qu’elle est frustrée de la réponse qu’elle vient de recevoir de l’employeur qui semble « se foutre de ses employés » alors qu’ils sont « à bout » de prendre des appels l’un après l’autre sans arrêt.

La salariée sort à nouveau à l’extérieur prendre une deuxième pause, car elle a besoin d’air. Sa gestionnaire lui accorde. De retour à l’intérieur, la travailleuse ne retourne pas à son poste de travail, mais se rend plutôt discuter avec un collègue. Sa gestionnaire lui demande alors de se remettre à travailler.   

Ainsi, une heure avant la fin de son quart de travail, la salariée souhaite quitter les lieux et la discussion suivante intervient avec sa gestionnaire : 

- Ah! parce que tu penses qu’aller ventiler après ce qui s’est passé, c’est prendre ma pause ? 
- Oui effectivement, tu as eu plus de 25 minutes de perte de temps avec tout cela, lui répond madame Tremblay. 
- Bien si c’est comme ça, moi je m’en vais ! 
- Tu veux t’en aller ? Tu sais à quoi tu t’exposes ? 
- « Je ne veux plus en parler là, je veux juste m‘en aller », répète à plusieurs reprises la [salariée].  
- « Tu veux plus en parler, c’est ton choix, mais c’est sûr qu’on va s’en reparler », conclut [la gestionnaire]. 

Le 2 novembre 2016, la salariée reçoit une mesure disciplinaire visant à sanctionner ses propos, son attitude et son départ hâtif du travail au mois d’octobre. Ainsi, elle est suspendue sans solde pour trois jours. La salariée considère que les événements décrits ci-haut constituent du harcèlement et elle dépose un grief.

La gestionnaire a-t-elle exercé du harcèlement psychologique à l’égard de la salariée?

Non. Dans cette décision, l’arbitre de griefs constate que le « droit à la liberté d’expression » de la travailleuse ne peut justifier des propos discréditant publiquement les gestions de sa gestionnaire ni une conduite agressive ou offensante. Devant une telle attitude de défi et de manque de respect, l’employeur est en droit d’intervenir pour corriger le comportement déviant de son employé.

Par ailleurs, pour la gestionnaire, le fait de garder l’employée dans son bureau ne constituait pas du harcèlement psychologique. Elle tentait simplement de calmer la travailleuse afin qu’elle reprenne la maîtrise de ses émotions. Ainsi, cette intervention découlait simplement du droit de gérance de la gestionnaire. Dans ce contexte, l’employeur se devait d’agir pour éviter que la plaignante ne perturbe davantage les activités essentielles et cruciales de l’organisation. 

De plus, en quittant prématurément son quart de travail, la salariée devait savoir qu’elle se rendait passible d’une sanction ayant par ailleurs été avisée par sa gestionnaire de ne pas agir de la sorte.

Dans quelles circonstances le droit de gérance de l’employeur est-il justifié et il ne peut être considéré du harcèlement à l'égard de ses employés?

Le droit de gérance d’un employeur ne doit pas être abusif et il doit être appliqué de façon uniforme à l’égard de l’ensemble de ses employés.

Il est intéressant de constater que face à une situation d’insubordination de la part d’un employé, un employeur, dans l’exercice légitime de son droit de gérance, peut prendre les mesures nécessaires afin de rectifier la situation. 

Il importe donc, pour un employeur, d’analyser de manière objective une situation et de ne pas envenimer les choses. Dans cette affaire, la gestionnaire a tenté de calmer l’employée en question, mais lorsque cette dernière a tout de même décidé de quitter les lieux du travail avant la fin de son quart de travail, la gestionnaire a simplement rappelé à la travailleuse qu’elles devront définitivement se reparler à ce sujet et que son départ l’exposait à des sanctions.

Contenu supplémentaire

BONNES PRATIQUES À ADOPTER

  • Rappeler, par l’intermédiaire de sa politique en matière de harcèlement, les comportements indésirables au travail;
  • Intervenir auprès des employés qui adoptent des comportements indésirables dès les premiers gestes afin d’éviter que les collègues prennent pour acquis que ces comportements sont tolérés;
  • Appliquer des mesures disciplinaires de façon uniforme entre les salariés et vérifier les mesures émises dans le passé aux autres salariés pour des manquements similaires;
  • Lorsque requis, appliquer des mesures disciplinaires objectives et raisonnables à l’égard de la faute reprocher afin d’éviter que l’employeur soit reconnu abuser de son droit de gérance.