Comment réussir un congé sabbatique en entreprise

17-09-2024
Oser prendre un congé sabbatique pour partir à l’autre bout du monde ou encore pour réaliser un projet personnel hors de son lieu de travail... Utopie ou opportunité ?
Rédigé par :
Annie Bourque, Pratiques RH
Homme préparant son congé sabbatique en entreprise

D’abord, le contexte actuel et l’inflation galopante refroidissent considérablement les ardeurs de ceux et celles qui voudraient s’accorder un long congé sans solde. Auparavant, dans les années 1990, le phénomène était beaucoup plus fréquent.

« Mais depuis la pandémie, il y a une prise de conscience chez les gens qui se rapprochent de leurs valeurs », observe Nathalie Martin, conseillère d’orientation et présidente d’Enjeux Carrière.

« Qu’est-ce que je vais faire de ma vie? », se demandent ses client.e.s.

« Aujourd’hui, les gens veulent davantage prendre soin de leur santé physique et mentale et personne ne veut plus attendre sa retraite pour profiter de la vie »

- Nathalie Martin

Planifier son congé sabbatique

À la tête d’une PME ou encore gestionnaire au sein d’une grande institution, il est possible de quitter sa zone de confort corporative durant plusieurs mois. Voici les récits de Claudia Rouleau et Steve Bussières qui ont osé réaliser leur rêve.

Leader de la carrière au sein de la première vice-présidence des ressources humaines chez Desjardins, Claudia Rouleau a décidé de prendre un congé sabbatique au début du mois de janvier 2023.

La jeune quadragénaire souhaite alors prononcer des conférences pour outiller les personnes proches aidantes. Un an plus tôt, elle publie le livre Grandir comme proche aidant : 12 clés pour accompagner un être cher qui relate son expérience avec sa mère, atteinte d’une maladie dégénérative des muscles.

Rapidement, son employeur lui octroie cette opportunité. « Un congé sabbatique est un privilège, selon moi. Un employeur a toujours la possibilité d’accepter ou de refuser notre demande. À mon grand bonheur, la mienne a été acceptée », témoigne-t-elle d’un ton enthousiaste.

Le passage du ballon : la clé du succès

Avant de partir, Mme Rouleau a pris le temps de transmettre ses dossiers à sa remplaçante. À son retour, celle-ci a effectué le cheminement inverse.

Directeur de l’innovation en marketing RH pour l’agence Sept_24, Gabriel Tremblay est parti 8 mois en congé sabbatique au Chili, avec son père et son fils. C’était en mai 2022.

« Notre processus d’affaires permet de remplacer temporairement les employé.e.s, le temps qu’ils et elles réalisent leurs rêves ou projets », explique son patron et PDG de la firme, Louis-Philippe Péloquin.

Au préalable, le travail en binôme assure le succès de l’expérience. La personne peut partir l’esprit tranquille puisque ses collègues s’occupent de ses tâches, de la gestion de ses courriels, etc. D’ailleurs, ce partage des charges entre collègues est une tendance en pleine croissance, selon l’expert en développement organisationnel, Michel Maletto.

L’argent, le nerf de la guerre durant un long congé sans solde

Peu importe son emploi, il faut tout de même prévoir l’aspect financier. « Cela ne donne rien d’être en congé si nous sommes confrontés à des soucis pécuniaires », ajoute Claudia Rouleau.

Il faut aussi réfléchir, selon les cas et les besoins, au maintien ou non de son fonds de pension ou encore de l’assurance collective.

Plusieurs options existent, soit l’épargne dans un bas de laine ou un CELI. Certains employeurs autorisent un traitement différé à ceux et celles qui s’absentent durant quelques mois. Cela signifie qu’une partie du salaire est prélevé au préalable et redistribué pendant l’absence.

À cela, s’ajoutent les dépenses courantes qui se poursuivent durant le congé sabbatique, soit l’hypothèque ou le loyer ainsi que les paiements liés au transport, taxes, assurances, etc.

Le congé sabbatique : son encadrement

  • Au Québec, l’employeur n’a aucune obligation d’octroyer un congé sabbatique. Souvent, il s’agit d’une entente particulière entre le.la employé.e et l’entreprise. La législation québécoise tient compte des conventions collectives, contrats de travail ou politiques d’entreprise.
  • En France, l’employé.e peut demander un congé sabbatique après avoir cumulé six années d’activité professionnelle et un total de 3 ans d’ancienneté au sein de son organisation. La durée d’un congé sabbatique peut varier de 6 à 11 mois. Pendant son absence, la personne doit accepter les pertes liées aux congés payés, à l’ancienneté et aux cotisations de retraite. Elle demeure toutefois dans les effectifs de l’entreprise. Avec l’accord de l’employeur, il est possible de renouveler le congé sabbatique.

La conseillère en orientation Nathalie Martin estime important de s’assurer d’un solide lien de confiance avec son employeur afin de garantir son emploi à son retour.

Certaines entreprises comme Sept_24 voient le congé sabbatique comme un avantage social et même une mesure de flexibilité. « Cela fait partie de nos valeurs, ajoute Louis-Philippe Péloquin. À chaque année, je demande à mes employé.e.s : c’est quoi ton rêve ? »

Cependant, certains dirigeant.e.s sont plutôt réfractaires aux congés de longue durée. De son côté, Claudia Rouleau suggère de faire preuve d’ouverture. « Il n’y a personne d’irremplaçable, relève-t-elle, Desjardins a très bien survécu à mon absence, mais c’est aussi parce que le processus a été planifié longtemps en avance. »

Des retombées positives pour l’entreprise

Accorder des congés sabbatiques peut constituer un formidable levier de rétention et d’attraction, selon la leader de la carrière.

« Cela permet de faire rayonner son organisation, souligne Mme Rouleau. En offrant ces pratiques dans sa politique de ressources humaines, un employeur se démarque comme étant humain et bienveillant. »

Par conséquent, cela a un effet positif sur la marque employeur.

Durant son absence au travail, Claudia Rouleau a développé une expertise dans la thématique des proche-aidant.e.s et a tissé un réseau de contacts, désormais utiles dans son emploi. Elle donne notamment des conférences aux employé.e.s proches aidant.e.s chez Desjardins.

- « Mais comment as-tu fait pour te déconnecter de ton travail pendant 11 mois ?  Comment s’est déroulée ton expérience de congé sabbatique ? », ont demandé ses collègues à son retour.

À l’écoute, Claudia Rouleau a donc préparé des capsules présentant ses meilleures astuces pour la déconnexion. « Peu importe le but de notre congé, je suis persuadée qu’on peut ramener un legs dans notre travail au quotidien », explique-t-elle.

« La personne qui part en sabbatique pourrait éventuellement faire un pacte avec l’employeur stipulant ceci en substance : quand je reviens, comment puis-je contribuer à redonner ce que j’ai appris à l’équipe ? Comment bonifier le cadre de travail par le savoir-être et le savoir-faire ? », suggère Nathalie Martin, présidente d’Enjeux Carrière.

Miser sur les bénéfices

« Je suis revenue tellement motivée à mon retour. Durant plusieurs mois, j’ai grandi de plusieurs pieds, mentionne Claudia Rouleau en riant. Parce que j’ai eu l’opportunité de me consacrer à une cause qui me tient à cœur. »

De son côté, Louis-Philippe Péloquin observe que durant leurs congés de longue durée, ses collaborateurs.ice.s apprennent à se connaître, à se découvrir. À leur retour, plusieurs ont acquis de la perspective sur leurs objectifs.

Et avant de pouvoir partir en sabbatique, les membres de son équipe ressentent un solide sentiment d’engagement et d’appartenance. « Imaginez la motivation d’une personne qui sait que dans quelques mois, elle va réaliser le rêve de sa vie », précise-t-il.

L’expérience d’un dirigeant d’une PME

Difficile de trouver un.e chef.fe d’entreprise qui a pris la décision de partir en congé sabbatique. Pratiques RH a toutefois réussi à discuter avec Steve Bussières, propriétaire de Produits Métalliques Bussières, située à Saint-Henri, dans la région de Québec.

En pleine pandémie, ce dernier réfléchit au sens de sa vie.

« À titre de fondateur et propriétaire d’une entreprise, je me suis demandé : mais qui suis-je en dehors de mon entreprise ? »

Deux ans auparavant, sa manufacture de 45 employé.e.s prend le virage de l’entreprise libérée, entre autres, que son organisation accorde désormais plus d’autonomie et de responsabilités au personnel. En contrepartie, les employé.e.s participent davantage au processus décisionnel.

Puis, en septembre 2020, Steve Bussières décide de réaliser un voyage au Costa Rica en compagnie de sa femme et de ses 2 enfants, alors âgés de 10 et 12 ans. Toutefois, la fermeture des frontières les force à demeurer un moment au Canada et d’aller à la découverte du pays en VR. L’année suivante, la famille part finalement vivre trois mois au Costa Rica et sillonne les États-Unis avant de revenir en mai 2021.

Son conseil numéro 1 : confiance et collaboration avec l'équipe

Ce long voyage lui a permis de vivre une véritable coupure avec le travail et les membres de son équipe. Durant son absence, plusieurs ont pris davantage de décisions. « Je n’avais presque pas de contact avec mes employé.e.s. J’avais même signé une procuration à la banque au cas où il faudrait emprunter de l’argent », précise-t-il.

À l’époque, l’entrepreneur ressent très peu d’appréhension. Au contraire. Sa situation ressemble à celle d’un capitaine d’un bateau qui part l’esprit en paix. « J’avais confiance que l’équipe prendrait soin de l’entreprise malgré les circonstances. »

Son intuition lui donne raison. À son retour, la croissance de la PME de Saint-Henri de Lévis a augmenté de 50 %. Du jamais vu depuis sa fondation en 2001 !

Son conseil numéro 2: oser prendre du recul

Ce long voyage a été salutaire pour le chef d’entreprise. Il s'agissait d’une occasion précieuse de nouer des liens avec sa famille, mais aussi de se découvrir comme être humain, au-delà de l’entrepreneuriat.

« Je ne suis pas parti en sabbatique pour fuir quelque chose, confie-t-il. Je l’ai fait pour me découvrir. »

- Steve Bussières

Quant à son équipe, les membres ont pris un réel plaisir à assumer de nouvelles responsabilités. Résultat ? Plusieurs ont acquis une solide confiance en eux.elles.

Les bienfaits d’un congé sabbatique sont énormes, affirme Steve Bussières. « À un moment donné, il faut lâcher prise sinon on devient prisonnier de notre entreprise. La vie est belle, mais elle est aussi courte. C’est pour ça qu’il faut en profiter. »

Enrichir sa vie et se centrer sur ses valeurs

Dans son bureau, la présidente d’Enjeux Carrière Nathalie Martin reçoit des gens qui sont partis en congé sabbatique en étant au bord de l’épuisement. « Durant ce temps, plusieurs ont vécu 24h sur 24h en faisant des choses enrichissantes. Souvent, ce long congé donne un sens à la vie. Cela les amène vers une nouvelle direction, de nouvelles valeurs. »

En ce moment, observe-t-elle, les gens veulent être utiles et réaliser un travail qui a du sens pour elles.eux.

De son côté, Steve Bussières l’a trouvé en demeurant le gardien du modèle de son entreprise. Celui-ci a confié à l’auteur du livre, Comprendre l’entreprise libérée qu’il souhaite « avoir des employé.e.s plus heureux.se.s au travail, plus engagé.e.s. Ainsi, ils.elles prennent de meilleures décisions. Faisons-le dans ce but et tant mieux si c’est rentable. »