Loger pour recruter en région

02-06-2023
Loger pour recruter, l’incontournable réalité des entreprises en région.
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Marilyn Bouchain
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Grâce aux divers programmes mis en place, la prise de conscience des impératifs et la confluence des mobilisations, le recrutement en région semble bénéficier de nouvelles énergies. Ce faisant, les bonnes volontés se trouvent néanmoins rapidement confrontées à une nouvelle difficulté : la pénurie de logements.

Sachant qu’en 2020, le taux moyen d'inoccupation des logements locatifs au Québec atteignait à peine les 2,4 % (au plus bas pour la région de Sherbrooke et Trois-Rivières avec 1,3 % et au plus haut, à Saguenay avec 2,8 %), il est aisé de comprendre que l’attraction de la main-d’œuvre et l’intégration des personnes immigrantes en région en subissent les conséquences. Pour preuve, le dernier rapport de la FCEI de mars 2023 annonce que 2 PME sur 5 invoquent la pénurie de logements comme principal obstacle à la régionalisation de l’immigration.

Des circonstances qui poussent les employeurs à se montrer proactifs et à chercher des solutions où pragmatisme et conscience sociale viennent à se rencontrer.

Pourtant, malgré les efforts louables, une question se pose en filigrane : l’implication des employeurs dans la résolution des problèmes de logement ne revient-elle pas à appliquer un pansement sur une plaie ouverte ? Et qu’en est-il du passage de l’hébergement temporaire à l’implantation définitive ?

Petit aperçu d’une situation complexe et identifiée comme un enjeu prioritaire par le gouvernement du Québec selon le rapport sus-cité…

D’employeur à hébergeur

Qui dit pénurie de logements, pense construction. C’est pourquoi plusieurs aides et subventions ont été mises en place tant au niveau provincial que fédéral, à l’instar du programme Accès logis ou des programmes de financement de la SCHL.

Options pérennes certes, mais longues à mettre en place et parfois compliquées aux dires de certains : « Obtenir de l’aide gouvernementale ou municipale s’est avéré trop long et compliqué. Nous avons tout financé nous-même. Seul le programme Rénoclimat pour améliorer l’efficacité énergétique de nos bâtiments a été utilisé. Nous avons acquis des bâtisses que nous avons rénovées. », confie Julia Gagnon de l’entreprise manufacturière textile Attraction à Lac-Drolet.

Contenu supplémentaire

Les aides à la construction et à la rénovation de logements

Agir dans l’urgence

Hormis la complexité des démarches, le manque de temps s’impose en tant que facteur déterminant. Car force est de constater que, pour la plupart des entreprises en région, le mot « urgence » a valeur de leitmotiv. C’est dans l’urgence qu’ils.elles cherchent à pallier le manque de main-d’œuvre et pour ce faire, font appel à des travailleur.se.s étrangers.ères temporaires (TET). C’est dans l’urgence, toujours, qu’il leur faut trouver des solutions d’hébergement que les municipalités n’offrent généralement pas.

Ainsi que le souligne Vincent Lainesse, fondateur de Gestion VRBL, service complet de recrutement, recherche et gestion de logements en région, l’offre d’habitations à loyers modérés pour les nouveaux.elles venu.e.s est quasi inexistante. « Actuellement, les municipalités n’ont le droit de débloquer qu’1% de leur budget pour le logement abordable et les listes d’attente des OMH (office municipal d’habitation) sont interminables. »

Ce que vient corroborer Julia Gagnon d’Attraction : « Le manque de locations dans notre municipalité et dans la région nous a contraints à trouver des possibilités de logements abordables à proximité de nos usines.

Investir une partie des ressources de l’entreprise

Dans ce cadre, assurer la recherche de locations ou passer à l’achat immobilier s’impose comme seules issues pour des entreprises dont la survie dépend souvent de la rétention de la main-d’œuvre. Investir une part des liquidités de l’entreprise dans l’achat d’une propriété est parfois l’unique alternative.

L’entreprise Vallée, manufacturier de chariots élévateurs et d’outils de manutention mobile à Saint-Alban, a choisi cette option comme l’explique son ambassadrice de marque employeur, Amélie Perreault : « Nous avons acheté une charmante maison centenaire à proximité de l’entreprise, en plein cœur du village, en face d’un petit marché d’alimentation, à proximité du parc des loisirs », en précisant que la bâtisse a été un coup de cœur immédiat. « Parfaite pour y loger les nouveaux arrivants en sol québécois qui cherchent à faire une longue carrière chez nous, elle accueille aussi des stagiaires à qui nous faisons découvrir notre région. Peut-être choisiront-ils d’y faire leur vie ! » conclut-elle, positive.

Pour d’autres, l’action a été d’intercéder auprès de propriétaires : « Faute de logements près de notre usine de Saint-Charles-sur-Richelieu, nous avons fait une demande de location pour nos travailleurs auprès d’un client qui possède une maison avoisinante » précise Florence Gonzalez-Rubio de Soya Excel, transformateur agroalimentaire à Saint-Charles-Sur-Richelieu.

Relever le « Défi logement »

Nombreuses sont les entreprises en région aux prises avec des réalités les amenant à penser des solutions parfois inattendues. C’est le cas d’Attraction devenue propriétaire d’une résidence pour personnes âgées et d’un salon funéraire désaffectés situés au centre du village et à distance de marche de l’usine afin de préserver l’autonomie des travailleur.se.s sans véhicule. « En tant qu’employeur important dans cette petite municipalité, nous tenions absolument à éviter les « rénovictions », ce type de bâtiments était donc parfait pour nous. » commente Julia Gagnon.

L’ex-maison de retraite a donc été reconvertie en plusieurs zones d’habitation, dont une de 12 chambres avec salles de bains privées et une de 4 chambres en occupation double avec bloc sanitaire (2 douches et 3 toilettes). Parallèlement, le salon funéraire s’est transformé en 3 appartements 6 ½, 5 ½ et 3 ½ .

Le patrimoine au service de l’économie locale

De son côté, la famille Bonneville, propriétaire de l’entreprise Lepage Milwork à Rivière-du-loup n’a pas hésité à racheter le bâtiment historique Château Grandville afin de le transformer en complexe d’hébergement locatif dédié non seulement à ses propres travailleur.se.s mais aussi aux employé.e.s des entreprises environnantes.

Entité hôtelière indépendante, Château Grandville est un projet engagé dont le but est de soutenir les employeurs de Rivière-du-Loup dans leur processus de recrutement d’une main-d’œuvre exogène.

Faire appel à un prestataire

Toutefois, si certain.e.s parviennent à surmonter les obstacles, d’autres peinent à s’en sortir et externalisent le problème en faisant appel à une entreprise spécialisée, telle que Gestion VRBL, créée il y a plus de cinq ans à Saint-Hyacinthe par Vincent Lainesse.

Prenant en charge la recherche des logements, la viabilité des lieux (ameublement, fournitures, internet, etc.) et la gestion locative, la société a pour objectif de délester les employeurs en facilitant l’installation. « Nous sommes une équipe de six personnes créatives et proactives. Nous avons développé nos propres méthodes afin de débusquer les meilleures opportunités. Un mixe de prospection sur le terrain, de recherches sur internet et de réseautage qui donne de beaux résultats ».

Un service répondant à un besoin si criant que l’entreprise prend de plus en plus d’expansion en desservant tout le Québec et en visant à terme, l’ensemble des provinces.

Les perspectives d’implantation en région

Au vu du caractère « artisanal » des initiatives privées, le constat à faire concernant l’implantation des travailleur.se.s en région se teinte de pessimisme. Immanquablement, la question se pose de savoir si les solutions trouvées pour palier dans l’urgence des situations relatives à des travailleurs étrangers temporaires seraient susceptibles de déboucher sur des solutions pérennes dans le cas des résident.e.s permanent.e.s …

À entendre Vincent Lainesse, cela relèverait du miracle car, si selon lui, 80% des TET (travailleur.se.s étranger.ère.s temporaires) souhaitent rester et s’implanter en région avec leur famille, cette volonté risque de se heurter rapidement à la dure réalité du coût de la vie : passer du loyer d’une collocation au loyer d’un logement familial lorsque le salaire s’élève à 25 $ de l’heure change considérablement la donne. Les projets d’implantation peuvent être remis en cause ou relocalisés.

« Il faut faire entrer d’autres types de joueurs dans la partie » analyse le dirigeant de Gestion VRBL. « Il manque au Québec des projets qui permettraient d’extraire un parc immobilier du marché spéculatif tel qu’il en existe à Vancouver avec Vancity ou comme l’articule la politique de logement de la ville de Vienne en Autriche. Il faudrait instituer un pourcentage d’habitations tenues pas des OBNL pour contrôler la hausse des loyers. » Et de citer dans la foulée, l’exemple d’Interloge à Montréal ou de Solides qui s’est porté acquéreur de 400 unités à Drummondville.

Implantation et inclusion

Poursuivant sa réflexion, il en vient à mettre en exergue le lien entre la façon de gérer une politique de logements abordables et l’inclusion des travailleur.se.s étrangers.ères au sein de la société québécoise. « Pour notre part, nous nous efforçons de louer des unités distinctes, localisées dans différents quartiers d’une même municipalité. Nous voulons favoriser l’inclusion et éviter l’effet Ghetto… Je pense que l’abordabilité devrait se faire dans la mixité sociale. »

Des projets inspirants de loyers abordables au Québec et ailleurs

Main-d’œuvre et revivification des villages

Au-delà de pourvoir à leurs besoins immédiats, les entreprises engagées dans la vie de leur commune et de leur région ont une vision élargie de leurs responsabilités ainsi que l’exprime Julia Gagnon d’Attraction : « Nous sommes le plus gros employeur de notre municipalité. L’accueil de travailleurs et la création de logements sont essentiels à la pérennité du village, de ses services (garderie, école, épicerie, etc.) et de notre entreprise. Natifs de la région, il est important pour nous de nous impliquer dans notre communauté. »

De plus en plus confrontées à l’élargissement de leur champ d’action sous la contrainte du contexte de pénurie de main-d’œuvre et de logements, les entreprises se doivent d’envisager le recrutement comme un package où l’offre d’emploi ne se suffit plus à elle-même mais doit comprendre l’habitat… et un environnement propice à l’intégration.

Comment cet addenda à la gestion des ressources humaines est-il géré par les entreprises en région ? À lire dans un prochain article !