Recruter en région : quand les solutions soulèvent de nouveaux problèmes

01-02-2023
Le recrutement en région réussit à rejoindre ses publics cibles mais rencontre de nouveaux problèmes
Rédigé par :
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Marilyn Bouchain
Recruter en région : quand les solutions soulèvent de nouveaux problèmes

Alors que pour une majorité de pays, la désertification sociale des campagnes résulte d’une raréfaction des emplois alentours, le Québec est confronté au phénomène inverse où l’offre existe mais peine à rencontrer les candidat.e.s. Tandis que les solutions se mettent en place, de nouveaux défis surgissent…

À l’heure où le taux du chômage amorce une baisse spectaculaire en atteignant les 4,1 %, le manque de main-d’œuvre continue à sévir dans toute la province mais surtout en région, avec une recrudescence de la demande pour une main d’œuvre peu qualifiée de 38% en 2021 contre 35,3% en 2019.1

Nombreuses sont les entreprises à en pâtir. Elles doivent décliner les opportunités de croissance et même parfois, mettre la clé sous la porte : en 2022, la FCEI annonçait 10,7 milliards de dollars de pertes pour les PME québécoises. Responsable ? Le flux des régions vers les grands centres urbains jumelé à la baisse démographique. Toutefois, d’autres facteurs pénalisants viennent se greffer aux moyens mis en œuvre pour le recrutement en région.

Car si, grâce au plan d’action ministériel de la régionalisation de l’immigration et les différents programmes créés pour rejoindre de façon adéquate les publics ciblés, la chaîne entreprises-partenaires communautaires-collectivités s’organise et se consolide, elle se bute dans un même temps à des problématiques émergentes.

Quelles sont les populations identifiées pour répondre aux besoins du recrutement en région ? Comment les rejoindre ? À quelles difficultés s’attendre en tant qu’employeur ?

Voici quelques pistes de réflexion et les paradoxes qui en découlent !

L’exode urbain n’aura pas lieu

Le mirage de l’exode urbain provoqué par la pandémie, s’est dissipé ! Les quelques 232 000 résident.e.s du Québec2 qui ont changé de région administrative entre le 1er juillet 2020 et le 1er juillet 2021 au profit des zones rurales, n’ont pas amorcé de mouvement pérenne.

Quant au taux d’immigrant.e.s s’installant en région métropolitaine, il est resté proche des 85% et les 11 régions administratives du Québec examinées de 2015 à 2019 ne comptabilisent qu’une moyenne de 1 000 immigrant.e.s permanent.e.s par an.

La régionalisation de l’immigration au cœur du recrutement

Cette immigration qui se concentre sur les grands centres représente pourtant pour les régions une manne en termes de main-d’œuvre puisqu’en 2021, les immigrant.e.s occupaient 19,2% des emplois de la province.

Fort de ce constat, des mesures ont été prises : des bureaux régionaux de l’immigration ont été ouverts dans le but de faciliter l’enracinement des nouveaux arrivant.e.s sur leur premier lieu d’accueil. En parallèle, « un maillage constructif s’est instauré entre les municipalités et les organismes spécialisés », constate Marie-Josée Huot, directrice générale du Centre local de développement de la région de Rivière-du-Loup pour qui l’implication de chaque strate de la société est un prérequis.

Les travailleurs temporaires, la solution d’urgence

Cependant, la régionalisation de l’immigration n’est pas qu’une affaire de résidence permanente. Ainsi, l’urgence dans laquelle se trouvent les entreprises induit de plus en plus le recours aux travailleur.se.s temporaires. En 2019, ils et elles représentaient 64% de l’immigration au Québec contre 9% entre 2012 et 2016

Une solution plus rapide mais qui soulève d’autres problèmes. « Une bonne partie des employeurs sélectionnent les travailleur.se.s temporaires dans l’idée de les garder et la même attente existe de la part des travailleur.se.s. D’où l’importance de simplifier et d’accélérer le passage du permis de travail temporaire à la résidence permanente. » observe Mme Huot. Car au-delà du processus administratif, c’est la dimension humaine qu’elle souhaite mettre en exergue : « Il y a des vies en jeu, des familles. Ce ne sont pas juste des numéros, des gens qui viennent maintenir les marchés des entreprises... »

Consciente que le recrutement en région s’inscrit dans une vision d’occupation des territoires, la directrice de la CLD souligne que « si on ne regarde que ça, on a une vue à court terme en tant que région ».

L’intégration et la responsabilité de l’employeur

Preuve que l’intégration est un enjeu subséquent au recrutement en région, une entente a été signée entre les MRC et le ministère afin de produire un plan d’action pour l’intégration des personnes immigrantes dans les communautés3. Ce qui, selon madame Huot, ne saurait remplacer un élément essentiel de l’équation : la responsabilité de l’employeur.

En effet, si le peu de moyens en interne vient expliquer un accompagnement chaotique ou même inexistant du travailleur.se, « les employeurs ne doivent pas perdre de vue que leur responsabilité n’est pas que le recrutement mais aussi l’intégration de l’humain », édicte-t-elle tout en soulignant que de nombreuses ressources en matière de gestion des RH, au niveau des CLD ou dans le secteur privé, sont à disposition.

Après plus de 20 ans sur le terrain, madame Huot constate que les entreprises qui s’en sortent sont celles qui ont su diversifier leur main-d’œuvre, s’outiller, développer une approche, y compris avec leurs employé.e.s locaux.ales, « parce que si tu n’intègres pas bien les gens de souche, tu ne le feras pas avec les immigrant.e.s. »

Néanmoins, elle constate un changement de mentalité : « Nous avons des employeurs qui s’impliquent à fond, qui mettent en place des jumelages interculturels, tout comme nous le faisons. Mais, de manière générale, l’employeur doit en faire plus… ainsi que les CLD et les municipalités... »

Pour les entreprises qui savent planifier en amont tout ce que le recours aux travailleur.se.s temporaires implique, les résultats sont probants … contrebalancés par l’apparition de nouveaux blocages. « Nous avons à présent des enjeux de logement et de garderie, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans. Nous sommes frustrés : nos efforts commencent à porter fruits mais cette nouvelle donne vient assombrir le tableau », conclut-elle.

Les principaux partenaires du recrutement en région

  • Les centres locaux de développement (CLD)
  • Les Municipalités régionales de comté (MRC)
  • Les chambres de commerce
  • Les organismes communautaires d’accueil aux immigrants
  • Les organismes communautaires en employabilité
  • Emplois en régions

Les jeunes qualifié.e.s, l’avenir des régions ?

Parmi les programmes de régionalisation du recrutement soutenus par le gouvernement, Place aux jeunes en région offre un accompagnement complet via un portail multi-services en ligne. Avec 70 000 candidat.e.s dans sa banque d’inscription, l’organisme atteste d’un intérêt grandissant chez les jeunes professionnel.le.s. La moyenne d’âge des candidat.e.s tourne autour des 27 ans, âge où, après avoir vécu ses expériences, le désir de se fixer et de fonder une famille devient plus prégnant.

C’est aussi grâce au retour constant de ses agent.e.s sur le terrain, tenant généralement bureau au sein des carrefours jeunesse-emploi, que l’organisme est en mesure de jauger le taux de réussite des implantations. « Nous sommes présents dans 85 MRC grâce à nos collaborateur.trice.s locaux.ales. » précise son directeur des opérations, Stéphane Lesourd.

Communication et visibilité

Outre les canaux de communication entrants tels que la plateforme numérique, ce sont les campagnes de promotion via les réseaux sociaux ou à la radio ainsi qu’une bonne visibilité lors de manifestations publiques qui parviennent à rejoindre la population visée, et plus spécifiquement, les jeunes familles.

« Divisé en trois types de publics, le bassin de recrutement se compose de néo-ruraux, citadins aspirant à la vie à la campagne, de jeunes issus des régions qui, après une expérience en grand centre urbain, retournent à leurs racines et de jeunes immigrants » explique monsieur Lesourd. Lequel poursuit en mettant de l’avant pour 2018, un taux de rétention en région de 93 % des utilisateur.trice.s des services de Place aux jeunes et ce, grâce au précieux soutien des agent.e.s sur place.

Les régions : une seconde immigration

Pourtant, rares sont les cas de jeunes immigrant.e.s fraîchement arrivé.e.s dont le choix se porterait de prime abord sur les régions. Un temps de maturation est nécessaire. « On prend pour acquis que les immigrant.e.s viennent d’une ville mais non, beaucoup viennent d’un milieu rural et aspirent à y retourner. » analyse Stéphane Lesourd. « C’est pourquoi on observe un phénomène de deuxième migration et quelquefois même, de troisième migration parce que l’agglomération dans laquelle ils et elles s’installent est encore trop urbaine à leur goût. »

Pour autant, malgré ce bilan plutôt positif, il ne cache pas ses préoccupations : en février 2022, l’organisme s’associait à la Fédération québécoise des municipalités pour écrire une lettre ouverte aux décideurs publics afin d’alerter sur la pénurie de logements. Et d’illustrer son propos par un exemple préoccupant. « Chaque année, 2000 personnes déménagent en passant par nos services. En 2021-2022, 150 d’entre elles ont été dans l’incapacité de s’installer en région faute de pouvoir se loger… alors qu’un emploi les attendait. »

Travailler en région ou y prendre sa retraite ?

Réembaucher les retraité.e.s

Avec près de 2,2 millions de retraité.e.s au Québec, les travailleur.se.s expérimenté.e.s se parent d’un tout nouvel attrait aux yeux des recruteur.se.s en quête de solutions. De plus en plus plébiscité, le recrutement des travailleur.se.s expérimenté.e.s fait son chemin dans les esprits. Le gouvernement promeut cette option et la soutient au travers de mesures financières pendant que les organismes et les plateformes dédiées se multiplient.

Les régions et leurs atouts

Débarrassé.e.s des considérations relatives aux garderies et écoles, moins impacté.e.s par l’absence de certaines offres de divertissement, les travailleur.se.s expérimenté.e.s pourraient se laisser séduire par les loyers ou l’accès à la propriété plus abordables, l’environnement sain et le rythme de vie paisible des régions. Ils et elles sont d’ailleurs bon nombre à investir leur résidence secondaire ou à quitter les grandes villes la retraite venue… Un potentiel bassin de main-d’œuvre qu’il serait malvenu de négliger.

Âgisme et réalités

Cependant, bien que propulsée par les instances publiques, l’idée ne séduit pas toujours les employeurs si l’on se base sur les relevés de 2022 de Statistique Canada selon lesquels le taux de chômage stagne à 5,4 % chez les hommes de plus de 55 ans et à 4,5 % chez les femmes de la même tranche d’âge alors qu’il ne cesse de baisser pour la population générale… Car diverses craintes et a priori viennent freiner les ardeurs. Des craintes d’ordre matérielles telles que des coûts plus élevés en matière d’assurances (vie, maladie, invalidité) assez peu justifiées. Des a priori négatifs tels qu’une difficulté d’apprentissage et d’adaptation présupposée ou une baisse d’efficacité et de rendement confinant à l’âgisme.

Il n’en reste pas moins que le retour ou le maintien en emploi des travailleur.se.s expérimenté.e.s peut s’avérer délicat dans certains corps de métiers, principalement manuels, à l’instar des industries primaires avec un taux de pénibilité de 70,3%, l’hébergement et la restauration (60,3%) et le secteur manufacturier (54,5 %).

Malgré tout, des solutions existent du côté de la CFT où les mesures de conciliation travail-famille pourraient permettre une intégration réussie et profitable pour chacune des parties prenantes. Préconisées par Simon Savard et Emna Braham dans leur article paru sur le site de l’Institut du Québec, certaines pistes d’action à l’intention des gouvernements provinciaux et fédéraux pourraient inspirer les employeurs : soutenir la formation des travailleur.se.s expérimenté.e.s, promouvoir les bonnes pratiques en gestion RH, penser au rôle de proche aidant plus couramment assumé par cette tranche d’âge.


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Justifier un retour sur le marché de l’emploi

Convaincre les employeurs ne saurait porter fruit tant que les employé.e.s ne sont pas au rendez-vous ! Ainsi les réticences affleurent aussi du côté des travailleur.se.s expérimenté.e.s qui s’inquiètent de devoir payer plus d'impôts et de perdre leurs prestations de retraite. Afin de les rassurer, des aménagements ont eu lieu depuis 2020, notamment à propos du Supplément de revenu garanti. De même, un crédit d’impôt pour prolongement de carrière est disponible ainsi que la possibilité de conserver un revenu de travail à la retraite.

Malgré tout, rien n’indique que ces incitatifs pèsent réellement dans la balance. Selon l’étude menée par CC45+, 50% des retraité.e.s interrogé.e.s ne désirent pas rester en emploi. Pour autant, 14 % indiquent qu’ils et elles pourraient retourner sur le marché du travail à temps partiel et 19 % auraient aimé le faire si cela avait été possible. Les raisons invoquées pour quitter leur emploi sont, elles aussi, intéressantes : 38 % parlent de motifs personnels, 36 % de surcharge et de fatigue, 28 % de charge mentale trop lourde, 26 % de soucis de santé.

À l’évidence, même s’il peut compter sur les charmes de sa région, l’employeur qui souhaite rejoindre les travailleur.se.s expérimenté.e.s devra faire montre de souplesse et de bonne volonté.

Offrir un emploi mais aussi un toit

Le recrutement en région progresse donc grâce à la prise de conscience des pouvoirs publics et le travail des organismes mais derrière cette éclaircie, d’autres nuages s’amoncellent : méconnaissance des besoins en matière d’intégration, lenteurs administratives, pénurie de logements et de garderies… Autant de points névralgiques qui viennent saper le travail d’attraction et de rétention et par là même, renforcer le phénomène de désertification.

Revitaliser les territoires en offrant des emplois ne suffit pas. Faire de l’attraction ne suffit pas. La qualité et la quantité des propositions d’habitations et d’infrastructures sont primordiales. Le circuit employeurs-communes-organismes l’a bien compris et cherche à palier un parc immobilier déficient. De plus en plus réactives, les entreprises s’investissent et investissent dans des solutions viables pour offrir un toit à leurs employé.e.s… À découvrir dans un prochain article : toute l’ingéniosité dont elles sont capables en la matière !

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Sources :

  1. IDQ
  2. Statistiques Québec
  3. Quebec.ca