Attraction fatale... Les risques de l'amour au travail

14-02-2024
Les relations amoureuses au travail, inévitables, se révélent un enjeu pour les entreprises.
Rédigé par :
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Les relations intimes au travail engendrent des répercussions

Des liens intimes entre deux personnes provoquent souvent des répercussions pour l’entreprise. Quel est le rôle de l’employeur advenant la formation d'un couple au travail ? En cas de rupture, il faut anticiper les pires scénarios. Voici notre reportage, axé sur des cas vécus et les conseils d’expert.e.s, de véritables jalons pour les dirigeant.e.s et gestionnaires.

Les professionnel.le.s du monde juridique et des ressources humaines consulté.e.s pour cet article sont unanimes: « On ne peut pas empêcher un cœur d’aimer. » 

En général, tout va bien lorsque les protagonistes, des étoiles dans les yeux, et des papillons au ventre vivent une romance pendant les heures de bureau. « Toutefois, si la relation bat de l’aile ou qu’une séparation survient, l’employeur doit posséder le doigté et la délicatesse afin de gérer de telles situations », précise l’avocat Louis Ste-Marie qui conseille les entreprises en matière de droit du travail et de l’emploi.  

Cas 1 : le triangle amoureux dans la chaine de production 

À l’intérieur d’une usine, une jeune femme, contremaître de métier, vit une histoire d’amour avec le responsable de la paie. Tout se passe bien jusqu’au jour où elle tombe amoureuse d’un employé syndiqué de son département.  

« Naturellement, au travail, les gens peuvent développer des liens intimes. Quand cela survient, dit Me Ste-Marie, il y a souvent un enjeu. Il faut s’assurer qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt ou de comportement qui favorise quelqu’un par rapport aux autres employé.e.s. » 

Dans son intervention, Me Ste-Marie a recommandé que la contremaître cesse sa supervision auprès du travailleur. Entretemps, ce dernier a changé d’équipe et la jeune femme a été transférée dans un autre département de l’entreprise.  

La perception d’iniquité : le nerf de la guerre  

Médiatrice accréditée au Groupe Taktik et CRHA, (conseillère en ressources humaines agréés) Suzie Fortin estime qu'une relation entre deux collègues ou ou un.e supérieur.e avec un.e employ.é.e engendre plusieurs écueils. Premièrement, leur crédibilité professionnelle risque d’être entachée. 

« On le sait bien : X a tel passe-droit, Y couche avec » est le genre de remarque souvent évoquée.

« Cela vient miner l’ambiance de travail et provoquer la perception d’iniquité. Les autres (membres du personnel) ressentent un sentiment d’injustice. De là, s’installent des comportements irrationnels comme des commentaires désobligeants, des attaques verbales, des conflits », dit-elle.  

L’insupportable trahison qui dégénère  

Quant au triangle amoureux évoqué plus tôt, l’homme éconduit a fortement réagit par des menaces verbales et propos malveillants.  

Le psychologue organisationnel et médiateur Gilles Lévesque observe souvent en entreprise des gens frustrés par leur relation amoureuse. Ils parlent en mal de leur ancien.ne partenaire. Une façon d’obtenir une confirmation que l’autre est vraiment une personne cruelle et méchante. « Souvent, dit-il, on cherche (inconsciemment) un persécuteur pour la personne qui se sent victime. C’est ce qu’on appelle le triangle de la manipulation relationnelle. »  

En situation d’emploi, M. Lévesque suggère d’éviter d’entrer dans ce jeu relationnel qui finit par créer des cliques et des dissensions au sein du personnel.  

Intervention nécessaire de l’employeur  

Finalement, l’employeur est intervenu afin que cessent les comportements nuisibles du responsable de la paie. Lors d’une conversation avec lui, les dirigeants ont évoqué les conséquences qu’auraient pu entraîner son comportement : face aux menaces, la jeune femme aurait pu faire une plainte à la police. Advenant une interdiction d’entrer en contact avec elle, l’homme aurait pu ainsi perdre son emploi.  

L’adoption de nouvelles législations au cours des 20 dernières années occasionne des responsabilités élargies pour les dirigeant.e.s d’entreprises. « L’employeur se doit de prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique même s’il s’agit de situations hors du travail, et ce, dans la mesure où ces situations interfèrent ou peuvent potentiellement interférer dans le milieu de travail. Cela fait partie de ses obligations légales », explique Me Ste-Marie de la firme Cain Lamarre.  

Tolérance zéro envers les comportements nuisibles 

Me Ste-Marie prône la tolérance zéro par rapport aux comportements inadéquats en milieu de travail. « Je dis souvent à mes client.e.s : vous êtes en droit de vous enquérir de ce qui se passe en dehors du travail. Le pire comportement, c’est de ne rien faire. » 

« Si quelqu’un vit de la violence, il s’agit là, d’une situation où sa santé et la sécurité physique ou psychique du travailleur est à risque, impliquant des obligations pour l’employeur d’y pourvoir, tel que le prévoit la Loi sur la santé et sécurité du travail depuis 2021. Il incombe également à l’employeur de guider l’employé.e. subissant de tels comportements vers les services adaptés à la situation, dont la police, l’aide comme le programme PAE, psychologues, travailleurs sociaux, etc. » 

Contenu supplémentaire

Bon à savoir 

1/3 des travailleurs.ses canadien.ne.s ont déjà vécu une relation amoureuse au travail 

19 % des gens au Québec ont rencontré leur conjoint au travail et 13 % d’entre eux sont toujours en couple avec cette personne.

Cas 2 : le choix de Casanova dans la manufacture  

Dans une PME du Québec, le conseiller en ressources humaines agréés (CRHA) Mathieu Beaufort observe une vive tension entre deux employées qui envenime le climat de travail. À tel point qu’une médiatrice propose aux femmes de communiquer uniquement par courriel... En filigrane, elles aiment le même collègue qu’on surnommera ici Casanova.  

Dans cet autre triangle amoureux (eh oui !), tous ont un conjoint à l’extérieur du travail. Entretemps, Casanova choisit l’une des deux collègues. Celle qui a été éconduite vit une peine d’amour atroce, pleurant constamment. Finalement, elle reçoit un soutien psychologique et se voit transférée plus tard dans un autre département avec le même salaire et avantages sociaux. 

L’importance pour chacun d’être pro-actif  

M. Beaufort croit que la direction de l’entreprise aurait dû intervenir dès les premiers signes de la formation de ce triangle amoureux.  « Les dirigeant.e.s disent souvent : ce ne sont pas nos affaires. Ils vont régler cela entre eux. On ne se doit d’intervenir que si la relation amoureuse a un impact sur des enjeux d’éthique ou au niveau du climat du travail. » 

Cas 3 : érotisation de la relation professionnelle 

Une jeune femme travaille comme adjointe pour un gestionnaire chevronné d’une grande organisation. Elle tente d’instaurer un jeu de séduction envers l’homme âgé d’une quarantaine d’années.  

« J’appelle cela érotiser une relation parce qu’on n’est pas dans une relation sexuelle, mais bien dans une relation professionnelle qui devient excitante », explique le psychologue organisationnel, Gilles Lévesque de la firme Chronos.  

Cela aurait bien pu être l’inverse : un superviseur qui entreprend un jeu de séduction avec une collègue. Dans ce cas précis, le gestionnaire en question, en couple, ne sait plus comment réagir.  

M. Lévesque rencontre alors les protagonistes. « La jeune femme trouvait son patron excitant, mais elle ne voulait pas aller plus loin que le jeu érotisé. Elle ne voulait pas de relations sexuelles, ni sortir avec lui. Cependant, il y avait une joute où elle se sentait désirée.»   

Au travail, nos spécialistes mentionnent qu’il faut convenir de règles pour un climat respectueux et harmonieux. C’est un endroit dévolu à l’atteinte de performance, de productivité et de relations saines. Ce n’est pas la place pour les séducteur.trices en mal de sensations fortes.  

Cas 4 : les amours secrètes n’existent pas  

Au sein d’une entreprise, deux gestionnaires de différents départements partent toujours à la même heure, le jeudi, à chaque semaine. Leurs regards concupiscents suscitent des commérages à l’égard d’une possible liaison. Curieux, un membre du personnel suit le duo jusqu’à un hôtel.  

 « On a découvert plus tard que l’entreprise devait réaliser un projet de l’ordre de 300 000 $ qui allait être annoncé le lundi suivant. Toutefois, après la rencontre à l’hôtel, l’investissement a été réalisé ailleurs. Il a été prouvé qu’il y a eu influence sur l’oreiller », relate le psychologue organisationnel Gilles Lévesque.  

Dans une grande organisation ou petite PME, même les liaisons secrètes finissent par se savoir. Leur dévoilement risque de placer les gens dans des situations intenables ou de harcèlement qui peuvent même aller jusqu’au licenciement.  

Une politique encadrant les relations amoureuses est-elle nécessaire ?  

Le Québec légifère en matière de harcèlement sexuel et risques psychosociaux. Toutefois, il existe peu de codes liés aux relations intimes alors que plusieurs couples travaillent souvent au sein de la même entreprise, selon le psychologue organisationnel Gilles Lévesque. 


Bon à savoir :  

À peine 35 % des entreprises au Canada ont une politique concernant les liaisons amoureuses. 


Le co-fondateur de la firme 1MPACT Partenaires d'affaires, Mathieu Beaufort estime que l’employeur doit agir advenant une liaison au sein d’une équipe ou entre un.e gestionnaire et un.e employé.e.  

« Cependant, observe-t-il, très peu d’entreprises sont outillées de façon formelle pour faire face aux relations amoureuses au travail et prévenir les imbroglios. » 

C’est pourquoi il suggère aux employeurs de mettre en place une politique encadrant les obligations des employé.e.s.  

Doit-on déclarer sa relation intime au travail ?  

Parmi l’une des mesures, M. Beaufort propose l’obligation de révéler une relation intime ou amoureuse avec un membre du personnel.  

« Si cela se passe sur le même palier hiérarchique, que ce soit officiel ou non, il est intéressant pour l’entreprise de le savoir parce que cela risque de placer les individus de l’équipe dans des situations d’inconfort ou de malaise. »  

M. Beaufort suggère de dévoiler la relation surtout lorsque la personne occupe un poste d’autorité sur l’autre. Cela permet de prévenir toute apparence de conflit d’intérêt et de harcèlement.  

David*, nom fictif, un superviseur de production dans une manufacture, vient de rencontrer la nouvelle commis aux ressources humaines. Il échange parfois des dossiers d’employé.e.s avec elle. Au bout de quelques mois, il l’invite à diner.

Toutefois, avant que la relation ne se développe davantage, l’homme alors âgé de 45 ans, préfère démissionner. « C’est simple, dit-il, “don’t f.. with the pay roll » une expression québécoise se traduisant par « ne couche pas avec quelqu’un qui est sur la liste de paye. » En tout les cas, mieux vaut s’abstenir d’une relation amoureuse avec quelqu’un au travail.   

En quittant l’entreprise, il a préservé sa réputation et sa crédibilité. Ses employé.e.s syndiqué.e.s le décrivent souvent comme quelqu’un d’exigeant, mais de juste et droit.  

Des conseils pour gérer les couples en entreprise  

La médiatrice d’expérience chez Groupe Taktik et CRHA, Suzie Fortin collabore avec des propriétaires de PME, des couples dans la vraie vie.  « Je dis souvent : de grâce, évitez tout lien hiérarchique. Je suggère de nommer un vice-président aux finances afin qu’une femme, par exemple, ne puisse plus relever du directeur général de l’entreprise (son conjoint) quand c’est le cas. Cela va permettre d’éviter les situations ambigües. » 

« Si une cadre supérieure est en couple avec son employé, comment peut-elle être objective lors d’une évaluation ou d’une augmentation de salaire ? » demande à haute voix Mathieu Beaufort.  

Généralement, ajoute-t-il, ce n’est pas la relation qui pose problème. C’est tout ce qui vient interférer avec la prestation, la performance au travail, l’attitude et le comportement. 

Un climat harmonieux et de respect  

Les experts conseillent de maintenir un climat empreint de respect et de civilité. « Ce n’est pas parce que les salariés forment un couple que l’entreprise va tolérer qu’ils se chicanent sur les lieux de travail », ajoute M. Beaufort.  

L’employeur doit prévoir les situations de rupture, un moment où plus personne ne fait la distinction entre le travail et la relation amoureuse. « C’est comme si on perdait toute notre faculté à utiliser notre intelligence émotionnelle, dit la médiatrice Suzie Fortin. La peine, la tristesse et le sentiment d’être trahi.e prennent alors trop souvent le dessus. »  

Quel est son conseil à ceux et celles, qui au lendemain de la Saint-Valentin, éprouvent une attirance ou des sentiments envers quelqu'un, soit collègue ou occupant un poste de gestion ? 

 « Je dis attention car il y des limites à ne pas franchir dont celles de se mettre en conflit d’intérêt parce qu’il y a un réel impact pour l’ambiance au travail, la crédibilité des gens et même pour la réputation de l’entreprise... »