Travailler en français : la proactivité paye !

10-08-2022
Le Marché du Store n'a pas attendu la Charte de la langue française pour adopter de bonnes pratiques : un parcours en francisation inspirant.
Rédigé par :
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Marilyn Bouchain
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Équipe RH Le marché du store

Le prix des Mérites en francisation attribué par le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) est plus qu’un encouragement, c’est la reconnaissance d’un engagement. Lauréate dans la catégorie Entreprise exemplaire en matière de francisation de son personnel immigrant, Le Marché du Store s’est vue primée le 21 mars 2022 pour ses bonnes pratiques en matière de francisation en entreprise. 

Produits de qualité, politique commerciale précurseure, vendeuses et vendeurs bien formés, campagnes publicitaires récurrentes, autant d’éléments susceptibles d’expliquer cette constante croissance économique. Et pourtant… Au-delà d’une mécanique marchande bien huilée, se pourrait-il que la capacité du Marché du Store à faire évoluer son fonctionnement interne en osmose avec les changements sociétaux du Québec tels que la Charte de la langue française ait contribué à sa pérennité ?

Entretien avec Dominique Mageau Gestionnaire des ressources humaines et Sophie Lemieux Chouinard, Responsable de la formation et de l’intégration.

Un nom d’entreprise français dès 1954 !

Dès sa création en 1954, la compagnie se dote d’un nom commercial en français, bien avant la Charte de la langue française. Stratégie marketing ou positionnement visionnaire ?!

Dominique Mageau, Gestionnaires des ressources humaines :

Le premier magasin « Au bon marché » étant situé sur la rue Masson, dans un quartier francophone, le choix d’un nom francophone était stratégiquement logique. Toutefois, malgré le fait que les propriétaires soient anglophones, la langue française a toujours été mise de l’avant, autant pour les client∙e∙s que pour le personnel.

Quand avez-vous pris conscience d’un réel besoin en francisation dans votre entreprise ? 


Dominique Mageau : En 2019. Notre compagnie comptant un taux élevé de travailleuses et travailleurs issus de l’immigration, dont 40 % ne parlaient pas français, nous voulions que les gens puissent non seulement bien s’intégrer au sein de l’entreprise mais également, dans Montréal. Quelqu’un qui se sent bien dans sa ville, va vouloir y rester et par là même, rester en poste.

Pour une francisation en entreprise réussie… une gestion des ressources humaines proactive !

Dominique, en tant que Gestionnaire des ressources humaines, avez-vous été à l’impulsion du projet ou avez-vous répondu à une demande de la direction ?

DM. Depuis mon entrée en fonction, il n’a été question que de rétention de main-d’œuvre. Notre service cherchait une solution : la francisation s’est imposée d’elle-même. Nous avions du personnel qui quittait le travail plus tôt pour assister aux cours du soir ou qui démissionnait pour suivre la francisation à plein temps… Nous avons réfléchi : « Que pouvons-nous faire pour que les besoins en développement des compétences de nos employé∙e∙s coïncident avec le bon fonctionnement de l’entreprise ? ». C’est alors que Sophie a entrepris des recherches.

Sophie Lemieux Chouinard, responsable de la formation et de l’intégration :

Nous étions très enthousiastes ! Nous avons tout de suite compris que ce projet serait bénéfique pour nos employé∙e∙s et pour la compagnie. Nous étions portées par une énergie très positive. De mon côté, la francisation s’intégrait tout naturellement à mes tâches puisque je m’occupe des formations telles que l’obtention du permis de cariste et de la formation du nouveau personnel sur la chaîne de production.

DM. Toutes les initiatives à l’origine de ce projet viennent des quatre membres de notre équipe des ressources humaines. Nous avons transmis l’idée à l’équipe du siège social. Cette dernière a décidé de nous suivre et de former un groupe de francisation propre à son département car des besoins existaient aussi, notamment au niveau du service client. Bien évidemment, le public concerné était moins nombreux…

SLC. Je dirais qu’ouvrir un deuxième site de francisation était déjà un beau succès ! (Rires)

DM. Oui mais comparé à nous… Nous pouvions comptabiliser une bonne soixantaine de participant∙e∙s sur les 140 employé∙e.s à temps plein de la production ! Nous avons dû prendre la décision d’adapter la production aux cours de francisation parce nous avions quasiment la moitié de l’usine qui les suivait… Ce qu’il faut comprendre, c’est que tout est manuel ici. Nous n’avons pas de machine, ce qui signifie qu’un∙e employé∙e en moins sur la ligne de production, ça a un impact ! Nous avons donc fait le choix en 2019 de considérer la francisation comme un investissement matériel. C’était une décision business afin de favoriser la rétention de main-d’œuvre. De plus, les chefs et cheffes d’équipe ont été intégré.e.s. Certes, la plupart avait déjà quelques bases en français mais la possibilité de développer leurs compétences devait aussi leur être offerte… Et quand le chef ou la cheffe d’équipe n’est pas là, la ligne ne peut pas fonctionner !

Quels ont été les départements impliqués dans la mise en place des cours de francisation ?

DM. Les ressources humaines ont été leader. Nous voulions nous assurer que le projet fonctionne : la production a donc, elle aussi, été mobilisée car la flexibilité est indispensable pour pouvoir offrir les cours durant les heures de travail. C’était notre principal argument. Il n’a jamais été question d’obliger mais de convaincre. Nous voulions avoir des participantes et participants motivés vu l’effort que demande l’apprentissage d’une langue.

C’est pourquoi, nous avons fait beaucoup de promotion pour expliquer aux gens les bienfaits qu’ils allaient en tirer, la montée en compétence qui serait la leur. Nous avons investi du temps pour sensibiliser, expliquer.

Je dirais que le projet a été piloté à 80 % par les RH et à 20 % par la production.

Vous parliez de communication en interne, quels leviers avez-vous utilisés ?

DM. Disons que nous avons eu recours à une communication multicanale… Étant donné que notre personnel n’a pas toujours accès à des courriels, sans en faire l’impasse, nous avons misé en priorité sur les rencontres. Ce qui ne nous a pas empêchées de poser des affiches dans toute l’usine et de distribuer des dépliants pour les inscriptions.

Des employé∙e∙s allophones, des informations diffusées en français… Comment avez-vous réussi à gérer votre campagne de communication ?

SLC. (Rires) Nous sommes habituées à mixer les divers moyens de communication entre eux. C’est notre réalité quotidienne ! Nous avons des stratégies : aller chercher dans notre équipe de superviseur∙e∙s celles et ceux issus de l’immigration qui sont en mesure de parler le vietnamien, l’arabe, le créole, l’espagnol.

DM. C’est pour cette raison que les rencontres restent le média le plus efficace : elles nous permettent une traduction immédiate. Quant aux textes des affiches, ils étaient en français, Charte de la langue française oblige. Concernant les dépliants, nous offrions une version en français puis une version dans la langue parlée par la personne. Nous avons donc dû traduire en plusieurs langues.

Quelles ont été les ressources auxquelles vous avez fait appel ?

DM. Lorsque nous avons décidé de mettre en place notre projet de francisation, nous avons cherché les organismes susceptibles de nous fournir des services en entreprise. Nous nous sommes tournées vers la commission scolaire qui nous a attribué un agent.

Concrètement, quelles ont été les étapes du projet ?

DM. La première étape a été la communication et diffusion de l’information. La deuxième, d’identifier les membres du personnel intéressés. La troisième, d’organiser des réunions afin d’entrer plus en détail…

SLC. … Ensuite, les tests de classement de la commission scolaire afin d’évaluer les participant∙e∙s et créer des groupes. À la base, un groupe doit être composé de 4 personnes minimum et de 12 personnes maximum. Dans notre cas, ça a été des groupes d’une dizaine de personnes. Nous avons eu par moment jusqu’à 5 groupes dans l’usine ! Une fois ces groupes constitués, il a fallu définir des plages horaires pour permettre des séances bi-hebdomadaires, trouver des locaux disponibles et surtout être capables de sortir ces employé∙e∙s de la chaîne de production donc, beaucoup de rencontres avec les gestionnaires. Sans compter les congés avec lesquels il nous a fallu jongler pour trouver des créneaux où tous et toutes seraient présent∙e∙s … Un beau casse-tête à résoudre ! (Rires). Une fois ces étapes finalisées, des professeur∙e∙s nous ont été attribué∙e∙s.

D’un point de vue matériel, avez-vous reçu des subventions, des aides financières ?

SLC. Oui. Les cours en tant que tels étaient pris en charge financièrement par le MIFI ainsi que les heures de présence de nos employé∙e∙s jusqu’à un certain plafond mais nous nous sommes organisées pour que personne n’ait à subir de perte de salaire.

DM. Tout à fait : en cas de dépassement du plafond alloué, nous ne voulions surtout pas que les participant∙e∙s en pâtissent. Nous avons fait une demande auprès du siège social afin de prendre en charge la différence quand il y avait lieu.

 
Contenu supplémentaire

L’aide financière du MIFI en un coup d’œil :

  • Honoraires du formateur : prise en charge à 100 %
  • Couverture du salaire des employé∙e∙s : à raison de 20 $ de l’heure
  • Coûts liés au matériel pédagogique et didactique : prise en charge à 100 %
  • Frais de location de salle et d’équipement : prise en charge à 100 %

En combien de temps le programme de francisation a-t-il été opérationnel ?

SLC. Pas longtemps. Du moment où nous, en interne, nous avons été sûres de vouloir le faire, ça n’a pris que quelques semaines. En résumé, les premiers contacts avec des fournisseurs de cours de français ont eu lieu en août 2019, l’information a été diffusée en septembre, l’ouverture de notre dossier à Services Québec pour la demande de subvention s’est faite la première semaine d’octobre et les cours ont commencé mi-octobre 2019 !

DM. Il faut dire que nous avons été bien encadrées par la commission scolaire. Un agent est venu passer une journée entière pour tout expliquer à Sophie.

SLC. Il est venu rencontrer notre personnel pour cerner ses besoins en communication, orale surtout, car notre problématique n’était pas une histoire de fautes dans les courriels mais plutôt de communication claire entre collègues et avec les responsables de chaîne de production ! Il a observé les comportements relationnels afin de proposer le type de formation le mieux adapté.

Avez-vous rencontré des difficultés d’apprentissage spécifiques ?

SLC. En fait, nous nous sommes rendu compte qu’un ou deux de nos employés n’étaient pas alphabétisés, pas même dans leur propre langue. Il ne s’agissait plus uniquement d’apprendre le français, il fallait être en mesure de reconnaître les lettres. L’effort demandé allait être conséquent…

DM. Une autre difficulté que nous avons identifiée vient de la concentration. Pour l’entreprise, il aurait été plus facile d’organiser une session de trois heures au lieu de deux sessions d’une heure et demie, mais pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de suivre des cours et des formations, la durée de concentration est trop longue... Il aurait même fallu faire des sessions d’une heure mais pour la compagnie, ça n’était pas possible.

Quelles ont été vos solutions ?

DM. Nous avons mis en place un cours le matin et un cours l’après-midi, parce que nous savions qu’en terme de concentration, même si c’est fluctuant selon les individus, l’attention risquait d’être moindre pour la deuxième session. Le travail ici est effectué debout : les cours ne devaient donc pas avoir lieu trop tard dans la journée.

C’était un projet clé-en-main. Nous voulions nous assurer que rien ne viendrait empêcher les participant∙e∙s de s’investir. Nous avons même eu des employé∙e∙s qui, malgré des changements dans leur emploi du temps, venaient quand même le jour de leur congé pour suivre le cours !

Envie d'approfondir le sujet ?

Visitez notre section dédiée au développement des compétences.

Hormis les cours de francisation, vous avez promulgué des activités sociales afin de favoriser la pratique du français...

SLC. Nous avions déjà des activités en dehors des heures de travail qui nous permettaient de créer du lien et une bonne ambiance. C’était une aussi une occasion pour les nouveaux de s’intégrer aux équipes et pour certains, de briser l’isolement qu’ils vivaient en dehors de l’entreprise. C’était dans notre culture d’entreprise… Bien sûr, nous parlions en français mais ce n’était pas le but principal. Avec ce programme, nous avons ajouté cette orientation aux activités.

Faire du français la langue de travail : des bénéfices indéniables !

Quels ont été les bienfaits de ce programme pour l’entreprise que vous avez pu constater ?

DM. Principalement, au niveau de la rétention de main-d’œuvre. En 2018, nous avions eu plusieurs cas d’employé∙e∙s qui partaient vivre dans des villes anglophones. En 2021, nous n’avons pas eu un seul départ. Les gens ne quittaient plus Montréal pour aller s’installer dans des provinces anglophones, pensant que l’intégration y serait plus facile. Premier gros impact pour nous… Ensuite, au niveau de l’atmosphère, nous avons vu une vraie différence. Les quiproquos et mésententes dus à des problèmes de communication ont disparu. L’impression qu’avaient pu ressentir certains que leurs collègues parlaient d’eux dans leur langue maternelle s’est vue balayée par l’usage commun du français. De même, en termes d’efficacité, l’effet a été concret. Dans une chaîne de production, les gens doivent se comprendre. Il y a des correctifs à apporter, des erreurs de production : la communication est fondamentale.

SLC. Je pense aussi que les gens ont pris cette opportunité comme une forme de reconnaissance de l’entreprise envers eux, de valorisation.

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui souhaiterait s’engager sur la voie de la francisation ?

DM. Le premier conseil serait de désigner une personne en tant que responsable. Tout comme Sophie a porté ce projet de A à Z, il faut une personne dévolue au projet. Le deuxième, serait d’obtenir, bien sûr, l’accord de sa direction mais un accord convaincu. Il faut savoir démontrer quels ont été les bénéfices retirés par les entreprises qui se sont engagées dans ce processus afin de mettre en place des mesures spécifiques qui rendront possible ce programme. L’entreprise doit pouvoir se montrer flexible pour assurer un haut taux de participation, que ce soit facile pour les employé∙e∙s.

Dans notre cas, nous avons eu la chance d’avoir un président qui soutient une culture d’entreprise transparente et ouverte, nous n’avons eu aucun problème à obtenir sa pleine et entière approbation !