S’arrêter pour mieux performer en santé et sécurité, l’exemple de Mine Canadian Malartic et de Mine Odyssey
Mine Canadian Malartic s’est vu décerner de la part de la CNESST à l’automne 2021, un prix innovation dans la catégorie Leader, portant principalement sur le concept des arrêts planifiés à son usine de traitement du minerai.
Tout d’abord, pourriez-vous nous décrire brièvement la mission et la vision de l’entreprise, votre structure ainsi que votre clientèle principale?
Notre raison d’être est à la fois de créer de la valeur pour nos actionnaires et rendre notre environnement de travail prospère pour nos employés/es et pour la communauté dans laquelle nous évoluons. Nous opérons une mine en milieu urbain qui est située à Malartic. On devrait plutôt dire maintenant des mines, précise Monsieur Tardif, puisque la mine Odyssey est actuellement en construction. Il s’agit d’un gisement souterrain qui sera exploité à long terme.
La mine Canadian Malartic est une mine à ciel ouvert dont la fermeture est prévue en 2029 tandis que la mine Odyssey sera une exploitation souterraine dont la durée de vie est estimée jusqu’en 2039. Les deux mines appartiennent au Partenariat Canadian Malartic qui est détenu à parts égales par les sociétés Yamana Gold Inc. et Mines Agnico Eagle Limitée. Les deux compagnies ont donné le feu vert, le 11 février 2021, à la construction de la mine Odyssey.
Nous n’avons pas de clients en tant que tels. Nous ne vendons pas notre production de façon directe. L’or que nous produisons est raffiné à la Monnaie royale canadienne et chez Argor-Heraeus, puis est transféré à parts égales à nos compagnies mères qui nous remettent les fonds équivalents à sa valeur. Ces dernières vendent ensuite leur partie selon leurs propres stratégies.
En novembre 2021, la CNESST vous a décerné le prix dans la catégorie Leader national lors du gala innovation en raison de l’implication de Monsieur Brousseau dans la coordination des interventions terrain lors des arrêts planifiés à l’usine de traitement. Parlez-nous des arrêts planifiés?
Les arrêts planifiés visent spécifiquement notre usine de traitement, mentionne d’entrée de jeu Monsieur Brousseau. En fait, c’est l’endroit où le minerai est traité pour en extraire l’or. Depuis 2016, nous avons convenu de procéder à quatre maintenances majeures annuellement au lieu de faire plusieurs maintenances et ainsi arrêter les opérations plus régulièrement. Nous les tenons en mars, juin, septembre et décembre.
Un arrêt planifié va durer en tout une semaine. Il faut comprendre que l’on accueille un nombre impressionnant d’entrepreneur.e.s de l’extérieur sur le site. Entre 800 et 1 000 à chaque fois. Ça exige une bonne organisation pour assurer la santé et sécurité de ces gens-là qui arrivent en même temps, ajoute Monsieur Brousseau. Au fil des ans, on a développé une foule d’outils de prévention pour encadrer les superviseur.e.s afin de s’assurer de la santé et de la sécurité de tous et toutes.
On ne se le cachera pas, c’est un défi à chaque fois, renchérit Monsieur Tardif. À chaque arrêt planifié, environ 30 % des gens qui se présentent sur le site le font pour la première fois. Cela nous demande un important travail d’accompagnement et de formation afin de nous assurer que chacun des nouveaux intervenant.e.s comprenne parfaitement bien notre engagement envers la SST.
On s’est toujours amélioré après chaque arrêt planifié. On fait toujours un post mortem afin d’évaluer ce que l’on aurait pu faire de mieux pour la prochaine fois, précise Monsieur Brousseau.
Les arrêts planifiés nous amènent à développer des outils que nous reprenons par la suite, et que nous utilisons dans notre quotidien. Ça nous inspire et donne des idées afin de développer des stratégies de communication, de prévention, des analyses sécuritaires de tâches ou comment apprendre aux employé.e.s à bien utiliser leurs cartes de travail à titre d’exemple.
On le voit comme un investissement. Bien que cela exige énormément d’énergie pendant cette semaine, cela nous est utile pour le reste de l’année. D’ailleurs, nos résultats en matière de santé et sécurité du travail s’améliorent d’année en année depuis que nous avons implanté cette façon de faire.
Les arrêts planifiés nous obligent à ce que tout fonctionne parfaitement, c’est comme un métronome. En mettant la SST au cœur de nos actions, les résultats suivent. Monsieur Brousseau ajoute d’ailleurs à la blague : il existe pour nous trois saisons dans l’année. L’avant « arrêt planifié », le pendant « arrêt planifié » et l’après « arrêt planifié »! En fait, c’est devenu un cycle continu que nous intégrons à nos opérations.
Vous accordez une grande importance à respecter vos trois étapes qui vous permettent d’opérer : 1. Est-ce sécuritaire pour les employé.e.s? 2. Est-ce que le respect de l’environnement et de la communauté est assuré? 3. Une fois ses deux étapes confirmées, vous pouvez alors opérer.
Jusqu’à quel point ce modus operandi est important chez vous?
Ce concept en trois étapes fut introduit en 2015. C’est répété maintes et maintes fois par la direction depuis. Ça fait partie de l’ADN de l’organisation, explique sans détour Monsieur Tardif. On l’enseigne à l’accueil quand les gens arrivent. Dans chacune de nos rencontres de production, c’est le premier point qui est abordé. Si vous avez un doute, vous n’opérez pas. Si vous croyez que ce n’est pas sécuritaire ou vous ne respectez pas l’environnement ou la communauté, vous arrêtez. On va analyser la situation afin d’y apporter les correctifs nécessaires. Cette mentalité sert bien l’entreprise puisque cela nous a permis de nous améliorer en santé-sécurité, mais aussi au niveau de notre performance environnementale.
Les taux de fréquence combinée de vos deux installations pour 2021 ont surpassé vos attentes atteignant respectivement .78 et .79. Comment expliquez-vous d’aussi bons résultats quand on sait qu’en 2014 par exemple le taux était de 1.53? *
D’entrée de jeu, Monsieur Brousseau nous explique que pour lui, il y a un lien assez évident à faire avec l’introduction de la règle des trois étapes pour opérer, introduite depuis 2015. Et il ajoute aussi le développement constant des outils de prévention attribuable principalement aux arrêts planifiés.
Il ne fait pas de doute que l’amélioration du dossier est passée par la qualité des outils de prévention développés au fil des années, combinés aux stratégies de communication, précise Monsieur Tardif. On parle à nos employé.e.s c’est certain, mais on parle aussi aux nombreux entrepreneurs qui sont sur nos sites. Depuis plusieurs années maintenant, on a intégré dans notre discours la responsabilisation (ownership) et l’importance de prendre soin de nos gens (caringship). Une chose est certaine, ce n’est pas seulement une mesure qui fait la différence. C’est un ensemble d’initiatives qui fait qu’à un moment donné tu crées un environnement gagnant où les gens s’y plaisent et veulent y demeurer!
En 2020, vous avez lancé une campagne visant à sensibiliser vos équipes à adopter de meilleurs comportements en matière de santé et sécurité du travail. Pourriez-vous nous donner plus de détails?
C’est la campagne Je m’engage. L’idée était de revenir à la base en insistant sur des comportements que nous avons souvent tendance à tenir pour acquis et parfois même à oublier. Nous avons fait des communications un thème à la fois. Par exemple, l’inspection de nos espaces de travail. Nous avons fait beaucoup d’affichage et des activités terrain avec l’équipe de direction qui a pris soin d’être présente auprès des travailleur.euse.s.
Même lors de la pandémie, aller sur le terrain restait important, évidement toujours dans le respect des règles sanitaires qui étaient en vigueur (port du masque, distanciation physique, etc.) On a fait des imprimés sur les cartes de travail des employé.e.s afin que tous et toutes s’engagent à signer et à respecter un comportement précis, comme par exemple, Je m’engage à inspecter mon équipement. Le superviseur questionnait son employé à savoir s’il l’avait fait. Et l’invitait même à refaire l’inspection avec lui, afin de bien passer l’importance du message.
Pour nous, mentionne Monsieur Tardif, c’est essentiel d’insister sur les comportements de base. En SST on n’a pas toujours besoin d’avoir des feux d’artifice. L’important c’est d’avoir des idées simples, faciles à livrer et à appliquer. Si vous demandez aux employé.e.s sur nos sites ce que représente s’engager envers un comportement, les employé.e.s seront capables de vous répondre! Cette campagne nous a d’ailleurs permis de recevoir un prix Distinction de la part de l’Association minière du Québec (AMQ), dans la catégorie communications-marketing, conclut Monsieur Tardif.
Parlez-nous un peu de votre programme de prévention. Les principaux éléments? Les principales activités et ce que vous suivez de plus près?
Notre programme de prévention nous sert d’abord à faire l’inventaire de l’ensemble de nos grands risques. Il nous sert aussi à fixer des objectifs de prévention. On identifie trois des principales causes de blessures. Par exemple, cette année nous avons mis l'accent sur les coupures, l’ergonomie et les chutes de même niveau de même que celles en montant et en descendant des équipements, explique Monsieur Brousseau.
On se fixe aussi des objectifs d’inspection de tâches et de nombres d’audits à réaliser, sans oublier les visites terrain en SST de l’équipe de direction.
Également, ajoute Monsieur Tardif, on a créé, voilà quelques années, un tableau de bord en SST. Ce tableau est mis à jour quotidiennement. Les superviseur.e.s reçoivent chaque matin les données des dernières 24 heures. Les inspections effectuées, celles qui restent à faire, les enquêtes d’analyse d’accidents, les audits de carte de travail, les visites terrain, etc.
On est en mesure d’avoir des données presque en temps réel. On accorde aussi beaucoup d’importance à la ligne de temps. Par exemple, si un.e superviseur.e a pour objectif de faire 12 audits de cartes de travail dans l’année, on s’assure que les 12 audits ne seront pas faits au mois de décembre! L’objectif de prévention est d’en faire tout au long de l’année et non pas 12 pendant un seul mois, assure-t-il!
À DÉCOUVRIR
Le régime de santé et sécurité québécois est en pleine effervescence et traverse actuellement une modernisation majeure. Parmi les nouveautés, l’introduction des risques psychosociaux.
Comment comptez-vous intégrer cette nouvelle dimension dans vos activités?
Ça fait déjà partie de notre réalité. On en parle. Nous avons déjà beaucoup de mesures de support et d’initiatives de mises en place à travers nos bureaux de santé et nos départements de ressources humaines notamment. C’est davantage une question d’établir une stratégie efficace avec tout cela. On vise à mettre sur pied un Comité santé mieux être à la mine Odyssey très bientôt. Nous en avons déjà un à la mine Canadian Malartic. On est conscient des risques psychosociaux et de l’importance de les prendre en charge. C’est en lien direct avec toute la notion de prendre soin de nos gens (caringship), mentionne Monsieur Tardif. C’est un peu comme lorsque nous avons commencé les arrêts planifiés. On va se retrousser les manches, on va se doter d’un plan d’action et on va continuer à s’améliorer.
Monsieur Brousseau ajoute de son côté qu’ils sont en train de faire une analyse comparative avec des partenaires de l’industrie afin de s’inspirer de bonnes pratiques en matière de santé mentale. On est en marche de ce côté-là aussi, conclut-il.
Avez-vous d’autres projets en santé et sécurité du travail à implanter à court et moyen terme?
Actuellement, considérant l‘envergure de la campagne Je m’engage et l’importance que nous accordons aux arrêts planifiés, il n’y a pas de nouveau projet sur la planche à dessin pour le moment.
Mais il y a un élément majeur dont nous avons peu parlé jusqu’à présent et qui nous a demandé des efforts colossaux au cours des deux dernières années, soit la gestion de la pandémie, ajoute Monsieur Tardif.
Imaginez. Déjà d’accueillir 4 fois par année 1 000 intervenant.e.s de l’externe c’est déjà quelque chose. Mais de le faire dans un contexte de gestion des mesures sanitaires en lien avec la pandémie de la COVID-19, c’en est une autre. Les tests, les masques, l’isolement des personnes symptomatiques, la distanciation physique à respecter, le transport, le nettoyage, la nourriture, etc. Ce fut très exigeant, mais nous avons relevé le défi et nous en sommes très fiers.
D’un point de vue communicationnel, ce fut également un défi intense. Les consignes en provenance de la santé publique et de la CNESST changeaient parfois tous les jours et nous devions suivre le rythme pour relayer les bonnes informations à nos employé.e.s et nos fournisseurs.
Mais cette adversité nous a permis de faire ressortir le meilleur de nous-mêmes et l’adhésion à nos valeurs qui sontEnsemble, Engagement et Innovation. En 2021, ce fut notre meilleure année de production d’or à vie de la mine Canadian Malartic.
Auriez-vous quelques conseils à offrir à d’autres entreprises qui hésitent encore à s’investir dans la santé-sécurité du travail?
Je dirais deux choses incontournables, explique spontanément Monsieur Brousseau. Il faut réellement y croire, et tout passe par le travail d’équipe. C’est la clé.
Monsieur Tardif nous explique qu’à chaque fois qu’un employé.e se blesse cela affecte non seulement la personne blessée, mais tout le monde qui gravite autour. Ses collègues, son superviseur, sa famille, ses amis, ses loisirs, etc. Il faut tout mettre en œuvre pour faire en sorte que le personnel évolue dans un environnement sécuritaire. L’impact est trop important. Point final. Et dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre comme celui que nous traversons actuellement, il semble évident que prendre soin de ses équipes afin de les garder au travail en sécurité est essentiel.
Mais, poursuit-il du même souffle, pour faire une bonne gestion en SST, ça demande beaucoup de planification et d’organisation pour arriver à des résultats satisfaisants. Donc, il faut éviter l’improvisation. Planifier, organiser, diriger et contrôler souvent : c’est la solution.