Constats et solutions à la pénurie de garderies au Québec
En ce début d'année, de nouvelles mères de familles multiplient les appels et recherches pour dénicher une place pour leur poupon. « Ce n’est pas simple comme situation, c’est beaucoup de stress », confie une maman de jumeaux, en congé de maternité, qui doit retourner au travail en janvier. Elle dit consacrer environ 8 heures par semaine à sa démarche.
Patience et compréhension des employeurs
Après son congé de maternité d’un an, une technicienne juridique dans l’immobilier travaillant à Québec, Marianne Boissel, a été obligée de prendre un congé sans solde de 6 mois. « J’ai été chanceuse de compter sur un employeur compréhensif qui m’a attendue », raconte-t-elle.
Cependant, les nouveaux parents doivent débourser 58 $ par jour pour une garderie privée pour chaque enfant. Un montant annuel de 30 000 $. Toutefois, le couple recevra un crédit d’impôt.
La jeune trentenaire et son conjoint ont réfléchi aux différentes options. « Je travaille carrément pour payer la garderie de mes enfants, déplore-t-elle. Mais d’un autre côté, j’ai besoin de travailler pour m’épanouir. »
35 333 est le nombre d’enfants en attente pour une place en service de garde avant le 30 juin 2023.
Source : ministère de la Famille.
Entretemps, des avocates, directrice de production, secrétaires sont nombreuses à interrompre leur carrière ou à travailler à temps partiel, faute de choix, observe l’organisme Ma place au travail qui regroupe 30 000 personnes. Ce mouvement a pris naissance en mars 2021 sur les réseaux sociaux. Le mot-clic #Maplaceautravail s’est répandu comme une traînée de poudre à la suite du témoignage d’une maman de Cacouna, inquiète de ne pas trouver une place pour son enfant.
La directrice-générale de Ma place au travail, Marilou Fuller souhaite le prolongement du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP) pour les parents qui ne bénéficient d'aucune ressource de garde après leur congé de maternité ou paternité. Elle croit que c'est une solution simple à mettre en place.
En ce moment, l'organisme milite pour une aide financière d'urgence pour les parents qui sont obligés de rester avec leur poupon, faute de place en garderie. « Malheureusement, notre revendication n’a toujours pas trouvé écho », déplore-t-elle.
Recul pour le Québec
En 1997, la ministre de l’Éducation et de la Famille, Pauline Marois créé un modèle inédit, soit des places en garderie à prix modique, alors à 5 $. En conséquence, cette politique suscite une participation record des Québéçoises sur le marché du travail : en 2019, le Québec occupait le 2e rang des pays de l’OCDE (juste derrière la Suisse) pour le taux d'emploi chez les femmes de 25 à 54 ans.
Au fil des ans, cette mesure a un impact tangible sur l’augmentation du PIB ainsi qu’en rentrées fiscales, analyse l’économiste bien connu Pierre Fortin dans son étude.
Depuis la pandémie, la chercheure et professeure à l’École des sciences de l’administration de l’Université TÉLUQ, Diane-Gabrielle Tremblay se désole du recul du Québec en matière d’accessibilité des services de garde. Plusieurs régions dont les Laurentides, la Montérégie, l’Outaouais, l’Abitibi-Témiscamingue et la Mauricie connaissent une forte pénurie de places en garderie.
«C’est un enjeu majeur pour les femmes, dit-elle. Il faut s’en préoccuper. Le gouvernement, à mon avis, n’a pas fait assez attention afin de maintenir ses acquis. » - Diane-Gabrielle Tremblay, chercheure et professeure à l’École des sciences de l’administration de l’Université TÉLUQ
« C’est très dommage pour les femmes du Québec qui sont formées et disponibles pour les employeurs qui eux, sont aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre. »
Solution 1 : davantage de création de places en CPE
Mme Tremblay croit que la meilleure solution réside dans la création de places en CPE (Centre de petite enfance) qui accueille en moyenne une centaine d’enfants. Les CPE représentent 35 % des places en garderie disponibles au Québec.
« Les sondages et enquêtes révèlent que les parents préfèrent en priorité des places en CPE. Ils souhaitent une place abordable de qualité. À mon avis, cela est davantage une solution pérenne », croit de son côté Geneviève Blanchard, conseillère stratégique à l’AQCPE (Association québécoise des Centres de petite enfance).
Toutefois, la construction d’un CPE est liée à un enjeu de financement, soit le Programme de financement des infrastructures. Même si le financement a été rehaussé de 76 %, il est difficile de répondre aux critères du gouvernement, prétend Mme Blanchard. « Une fois, les plans adoptés, on va en soumission et souvent, elles sont trop élevées. Pourtant, on ne parle pas de CPE avec des planchers en marbre », indique-t-elle. Le coût d’un projet de CPE dépend toujours de son emplacement. « Dans la région métropolitaine, par exemple, le coût des terrains est prohibitif. Sur la Côte-Nord, il s’agit des matériaux de construction », illustre Mme Blanchard.
Octroi du gouvernement fédéral de 6 milliards sur 5 ans
C’est le montant de la compensation financière octroyée le 5 août 2021 par Ottawa au gouvernement Legault. Qu’est-il advenu de ce montant concrètement ?
« On aurait pu tous construire les CPE avec ce montant », dit Geneviève Blanchard de l’AQCPE qui pense que ces sommes ont été versées dans le fonds consolidé du gouvernement.
De son côté, l’attachée de presse de la ministre de la Famille, Catherine Pelletier précise : « L'entièreté de la somme est et sera dédiée à la petite enfance. Pour les précisions, vous pouvez vous adresser au ministère de la Famille et au ministère des Finances. »
Dans son mémoire, en juin 2021, le directeur-général de la FCCQ, Charles Milliard a souligné que les transferts en provenance du gouvernement d’Ottawa doivent être utilisés pour résoudre la pénurie de places en garderie avant de l’appliquer pour le remboursement de la dette.
Solution 2 : projet pilote de garderie du gouvernement en milieu de travail
Depuis le printemps 2022, le gouvernement a mis en place un projet pilote de service de garde en milieu familial au sein des entreprises, organisations ou organismes à but non lucratif.
Précisons que le service de garde en milieu familial compte pour 30 % des places disponibles au Québec.
Le fonctionnement du projet pilote est simple. Les entreprises ou organismes se réfèrent au bureau coordonnateur du CPE (Centre de petite enfance) de leur région qui les aide dans l’implantation d’une garderie et s’occupe aussi de l’embauche des éducatrices.
Des bénéfices concernant l'attraction et la rétention du personnel
Au cours des derniers mois, Pratiques RH s’est entretenu avec des employeurs qui participent au projet-pilote du gouvernement concernant l’implantation d’une garderie en milieu de travail. À l’unanimité, tous vantent ses retombées positives dont l’attraction, la rétention et la fidélisation du personnel.
À l’automne 2022, Alexandre Latour, le président d’Équipe Laurence, une société de génie civil de 140 employé.e.s dont 70 sont basé.e.s à Saint-Adèle dans les Laurentides, est confronté à un dilemme. Parmi son personnel, 2 techniciennes en ingénierie, en congé de maternité, cherchent désespérément une garderie pour leur poupon. Leur retour au travail apparait incertain.
Cet élément a été déclencheur dans sa décision d’aménager une garderie au premier palier de son entreprise. Cette annonce a grandement facilité le recrutement de nouveaux talents.
« Je souhaite venir travailler chez vous parce que je ne veux pas vivre le stress de chercher une place en garderie », a confié une future maman, lors de son entrevue d’embauche.
Un investissement rentable
Son entreprise a investi près de 70 000 $ pour l’aménagement d’une garderie familiale qui accueille aujourd’hui, 12 enfants âgés de moins de 5 ans. Il ne s’agit pas d’une dépense, mais d’un investissement rentable, selon lui. « Nos employé.e.s gagnent en qualité de vie. Cela permet de garder nos gens heureux plus longtemps .»
M. Latour déplore que ce projet pilote soit peu connu. « Les gens pensent peut-être que le processus est compliqué. Pourtant, cela contribue à régler la pénurie des garderies », fait-il valoir.
Petite confidence ici…
En toute franchise, M. Latour avoue avoir craint qu’un parent quitte momentanément son travail pour consoler son bébé. Une appréhension non fondée. « En six mois, cela n’est jamais arrivé, confie-t-il. Au contraire, tous sont heureux de voir les tout-petits jouer dans la cour et cela ajoute à l’esprit de famille que nous voulons créer chez Équipe Laurence. »
Le saviez-vous ?
Un sondage effectué par la FCCQ mentionne que 85 % des membres ont affirmé que l’absence de places en garderie a des effets négatifs tangibles pour les employeurs dont le retard de nombreux projets. En région, cela se traduit par la difficulté d’attirer des travailleurs.
Un plus pour le recrutement
Au Saguenay, le Groupe Alfred Boivin a construit en 2022 une maison, située juste à côté de l’entreprise de 350 employés.
À l’intérieur, les 12 bambins sont accueillis dans un local chaleureux pourvu d’une salle de jeux, d’un dortoir, salle de bain et d’un bureau pour les 2 éducatrices. L’investissement de plus de 300 000 $ en vaut la peine, selon Nicolas Vaillancourt, coordonnateur à la direction générale du groupe Alfred Boivin.
« Une garderie devient très attrayante lors du recrutement. Cela a permis de faciliter la vie de nos employés et leurs familles dont certain.e.s proviennent de Tunisie et d’Algérie, ayant des enfants de moins de 5 ans », explique M. Vaillancourt.
De plus, en période de pénurie du personnel, les salarié.e.s sont grandement sollicité.e.s. Courtisés par la concurrence, les talents y songent 2 fois avant de quitter l’entreprise qui a obtenu le prix Construire pour son développement économique et social dans la région.
Car, le projet pilote du gouvernement permet aux parents de débourser la modique somme de 8,85 $ par jour. Une garderie privée coûte entre 55 $ et 65 $ par jour.
Enfin, une centaine de places en entreprise ou au sein de la communauté sont prévues au Saguenay-Lac-Saint-Jean d’ici la fin de 2024.
La pierre d’achoppement : programme peu connu et recrutement difficile
Au cours de notre reportage, nous avons parlé à des directrices de CPE qui tentent de promouvoir le projet-pilote du ministère de la Famille. « C’est difficile parce qu’on n’arrive pas à recruter des employeurs », déplore Isabelle Brodeur, directrice-générale du Centre de la petite enfance Le petit monde de Caliméro. De nombreuses annonces dans les journaux locaux suscitent peu de réaction. Idem pour la région des Bois-Francs où l’on note qu’un seul employeur participe au projet. Toutefois, au centre du Québec, 9 organisations y prennent part.
215 projets pilotes au Québec
Au 31 octobre 2023, 215 projets pilotes de services éducatifs en communauté ou en entreprise ont été autorisés par le ministère de la Famille. Toutefois, seulement 123 sont en opération. Cela est imputable entre autres à la difficulté de recrutement d’éducateurs.trices.
Source : Conseil québécois des services éducatifs à la petite enfance
L’avis de Geneviève Blanchard de l’AQCPE
Le projet-pilote du gouvernement représente l’octroi d’un maximum de 12 places de garde chez un employeur ou organisme.
« Il faut que cette solution soit répétée à un très haut volume afin de pouvoir répondre à la demande. dit-elle. C’est une solution, mais pas LA solution. À notre avis, cela vaut quand même la peine de la tester. »
Solution 3 : reconnaissance de la profession de responsable de service de garde
La professeure Diane-Gabrielle Tremblay est catégorique. Il faut absolument améliorer les conditions de travail et le salaire des éducatrices en garderie afin de les attirer vers cette profession. « Plusieurs ont maintenant un horaire de 4 jours. C’est tout un défi de trouver une autre personne supplémentaire », dit-elle.
L’an dernier, le gouvernement a accordé une augmentation de 18 % aux travailleurs et travailleuses œuvrant en service de garde. « Nous considérons que c’est du rattrapage. Cela reste quand même le DEC (diplôme d’étude collégiales), le moins payé au Québec », note Geneviève Blanchard, de l’AQCPE.
Une éducatrice qualifiée avec 3 ans d’expérience ou avec un AEC* (attestation d’études collégiales) débute à 21,60 $ de l’heure. Au bout de 10 ans, elle plafonne à 30 $ de l’heure.
Bon à savoir
Durant la pandémie, de nombreuses éducatrices ont changé de carrière. Dans l’Outaouais, plusieurs sont parties travailler comme fonctionnaire au gouvernement. En Abitibi, certaines œuvrent dorénavant dans une mine pour un meilleur salaire. Le métier d’éducatrice en service de garde est exigeant. « On leur demande de faire des observations, d’analyser les points forts d’un enfant, bref, de remplir un portrait éducatif. Cela créée une charge de travail et il y a de plus en plus d’enfants qui ont besoin d’un soutien particulier », commente Geneviève Blanchard.
En chiffres
Entre le 1er avril 2020 et le 28 février 2021, 894 garderies en milieu familial ont fermé leurs portes au Québec, représentant environ 5000 places.
Solution 4 : des municipalités s’engagent pour créer des garderies
Face aux nombreuses fermetures de garderies en milieu familial, de plus en plus de municipalités décident de s’engager dans le projet pilote du ministère de la Famille. C’est le cas des villes de Larouche et Saint-Fulgence au Lac Saint-Jean ou encore celle de Stratford au lac Mégantic.
« Nous posons un geste concret pour attirer les familles. À cet effet, nous avons donc libéré le 2e étage du bureau municipal pour faire place à une belle garderie », mentionne la mairesse de Stratford, Denyse Blanchet.
La communauté de 1036 habitants monte à 1800 l’été avec la proximité des lacs et chalets. « Notre localité compte plus de 20 enfants de 0-5 ans qui doivent trouver des places à l’extérieur de chez nous. Ce projet va permettre d’accroître notre attractivité pour les familles alors que le nombre de personnes âgées représente 37% de notre population.»
De mai 2023 à fin octobre, le local a accueilli une responsable du service de garde avec 6 bambins. La réouverture du service de garde en milieu communautaire est prévue début février. « Nous avons recruté une éducatrice et nous en cherchons une deuxième pour offrir 12 places de garde autorisées à notre projet, soit une responsable par 6 enfants », précise-t-elle.
Solutions 5 : garderie dans les parcs industriels
La professeure et chercheure Diane Gabrielle-Tremblay estime qu’une solution intéressante pour les parents et employeurs s’avère la création d’un service de garde dans les parcs industriels.
Actuellement, ce modèle existe seulement dans les régions de Québec, Laval, Saguenay-Lac-Saint-Jean. À Bécancour, lieu de la future implantation de la Filière batterie, ce projet serait à l’étude, a-t-on appris.
« Un CPE dans un parc industriel facilite grandement l’attraction du personnel et surtout la conciliation famille-travail », explique Marie-Ève Labbé, directrice générale du CPE Les Petits Papillons qui accueille 160 enfants dans ses 2 installations, situées au Parc technologique de Québec. De ce nombre, 90 % des places sont réservées aux salarié.e.s du secteur environnant. Même si un travailleur.euse perd son emploi comme dans le cas de la fermeture récente de Medicago, les enfants conservent leur place en garderie.
Au fil des ans, la directrice générale a établi différents partenariats avec les entreprises du secteur. Une d’entre elles contribue par exemple à l’aménagement de la cour extérieure alors qu’une autre propose du matériel technologique aux tout-petits. Un partenariat gagnant, selon Mme Labbé.
Dans son mémoire en mai 2022, la FCCQ avait recommandé d’instaurer des services de garde à horaire flexible afin de soutenir les travailleurs.euses ayant des horaires atypiques. « Un CPE à Québec offre un service de garde atypique le soir et les fins de semaine, mais c'est très limité et difficile en raison du mode de fonctionnement et de financement des CPE qui sont liés au taux d’occupation », indique de son côté, Geneviève Blanchard, conseillère à l’AQCPE.
En conclusion : accéder à une place en service de garde devrait-il être un droit au même titre que l’éducation ?
Mme Blanchard préconise l’accessibilité d’une place en service de garde pour toutes les familles qui le désirent. Et cela au même titre qu’un enfant a le droit de recevoir une éducation à l’école. « Est-ce que chaque enfant devrait avoir le droit d’accéder à une place en service de garde si sa famille le souhaite ? Nous, on pense que oui, mais pour l’instant, ce droit est en fonction des ressources de l’État. »
«La situation est terrible pour certains parents alors qu’on rêve d’un service de garde universel pour tous les enfants, ajoute la directrice du CPE Les Petits Papillons. Malheureusement, nous en sommes pas là. Les parents sont pris en otage alors qu’il manque cruellement de places.»
À savoir
Pratiques RH a communiqué avec certains des 10 CPE du centre-ville de Montréal. Il reste des places de disponibles. «Bien souvent, les gens ne veulent pas traverser les ponts avec leur enfant et préfèrent trouver une place dans leur région », nous a-t-on indiqué.
-
Une entreprise pionnière à Saint-Mathias-de-Richelieu
-
En 2006, Fraco, une usine de fabrication d’élévateurs et ascenseurs à Saint-Mathias-de-Richelieu s’est investi dans le projet d’une garderie, située tout près de la PME de 90 employé.e.s.
Logée dans une maison patrimoniale historique de 2 étages, la garderie accueille aujourd'hui, 76 bambins dont 12 sont des enfants du personnel de Fraco.
À l’époque, la maison était presqu’à l’abandon. Des oiseaux volaient dans la maison, raconte Hélène Gaulin, directrice des ressources humaines.
Le fondateur de l’entreprise Armand Rainville et ses filles Emmanuelle et Julie créént alors un projet rassembleur. Les fins de semaine, les futurs parents de la communauté de même que des employé.e.s aident à la restauration de la bâtisse en effectuant des travaux de maçonnerie, le sablage de planchers, la peinture, etc.
Les membres du personnel rencontrés sur place se considèrent choyés et chanceux. La garderie, gérée aujourd’hui par la Coopérative La Luciole facilite la conciliation famille-travail. « Cela permet aux employé.e.s d’avoir la tête tranquille et de se concentrer au travail. Cela enlève vraiment un stress », ajoute Mme Gaulin.
Au fil des ans, l’esprit d’entraide et la gestion participative perdure. L’aménagement de la magnifique cour arrière, comprenant des balançoires, des jeux s’est terminé au printemps 2023 grâce à la vente de gâteaux aux bananes ou du délicieux chili, concoctés par la cuisinière de la garderie. « Dans chaque prise de décision, on met l’emphase sur les besoins de l’enfant », conclut la directrice.