Le secret de réussite de Cordon Bleu

05-09-2023
Quel est donc le secret de réussite de l'entreprise Cordon Bleu, ce fleuron québécois qui célèbre ses 90 ans d’existence ?
Rédigé par :
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Annie Bourque, Pratiques RH
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Cordon Bleu récipiendaire de 2 Mercures au Gala des Mercuriadess

L’entreprise de 120 employé.e.s, implantée à Anjou, a remporté 2 prix lors du 43e Gala des Mercuriades, au printemps dernier, dans la catégorie Entreprise de l’année et Accroissement de la productivité.

Aussi, finaliste dans la catégorie Développement des marchés internationaux.  

Désirant connaitre les raisons de cette réussite, Pratiques RH a rencontré le personnel et les dirigeants de la PME montréalaise.  

Souci du travail bien fait  

13 juillet 2023. Dans la manufacture, au début de la ligne de montage, on aperçoit une énorme cuve en acier inoxydable. Tout au long de la visite, les étapes de fabrication s’accélèrent jusqu’à leur mise en conserve. Reconnue pour ses mets iconiques dont le fameux ragoût de boulettes en conserve, l’usine s’illustre aussi pour sa culture organisationnelle d’exception. 

Les membres du personnel, vêtus d’un sarrau blanc, répondent spontanément à nos questions.  

« Ce soir, nous faisons le Paris pâté. Ce que j’aime et j’adore de la production ? C’est d’alimenter cette grande ligne de montage de Cordon Bleu », raconte Patrick Poulin, opérateur de production, avec une pointe de fierté dans la voix. Son rôle est crucial. Il s’assure que la fabrication respecte les normes très strictes de qualité qui régissent les industries alimentaires.  

Hausse de productivité  

Malgré le contexte de pénurie de personnel, l’entreprise observe une hausse de productivité. 

22 % de plus de kilogrammes 

« Nos statistiques publiées en juin démontrent qu’en l’espace d’une heure, nous produisons 15 % de plus de caisses que l’an dernier. En quantité, cela représente 22 % de plus de kilogrammes à l’heure », précise Patricia St-Aubin, vice-présidente, développement des affaires et marketing. 

Derrière ces statistiques, se profile le directeur des opérations Alain Lacasse, un ingénieur de métier de 25 ans d’expérience dont 10 ans en agro-alimentaire. L’homme est reconnu pour sa gestion participative, une méthode de management qui favorise l’engagement et la collaboration des membres de l’équipe. La résolution de problèmes, selon lui, passe par l’interaction entre les gens qui proposent leurs propres solutions.  

Sans doute, la modernisation des équipements et l’implantation de nouvelles technologies ont un impact sur la hausse de production. « Cependant, ce sont nos gens qui, par leurs idées et leurs initiatives, génèrent davantage d’améliorations », observe Rob McKenzie le président et chef de la direction. 

Percée aux États-Unis 

La croissance fulgurante de Cordon Bleu coïncide étrangement avec la pandémie. Les consommateurs, aux prises avec l’inflation optent davantage pour une nourriture en conserve, à prix abordable. « Tout en étant savoureuse et riche en valeur nutritive », souligne Patricia St-Aubin, responsable du développement des affaires et du marketing.  

Depuis 2020, la compagnie a entrepris une offensive aux États-Unis qui s’avère un franc succès. 

7000 

Nombre de points de vente aux États-Unis en 2023. 

L’équipe œuvrant au sein du département RD (Recherche et Développement) a eu le flair de développer une nouvelle gamme de recettes qui plaisent particulièrement aux Américains.  

Entretemps, la directrice du Développement humain, Joannie Roy a recruté des personnes de talent dont François Cloutier qui a débuté en 2020 à titre d’opérateur aux sauces, durant le quart de travail de nuit. Puis, il a gravi les échelons pour occuper le poste d’assistant-contremaitre de soir.  

« C’est flatteur de remporter des prix, confie-t-il. Mais ma plus grande fierté, c’est tout ce qu’on a accompli depuis 3 ans. Je suis fier de la réussite de mon équipe et celle de Cordon Bleu.»  

Culture axée sur le respect de l’être humain  

Bien avant les frères Lemaire qui ont créé le fleuron Cascades, le fils du fondateur de Cordon Bleu a compris l’importance de conjuguer l’efficacité économique avec le respect et l’épanouissement des équipes. Sa philosophie a été préservée au fil des ans.  

Grandissant dans un univers privilégié, dans les années 50, J.-Robert Ouimet se pose une question existentielle: « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter tout cela ? »  

Après des études en Allemagne et aux États-Unis, il décide de travailler à temps plein chez Cordon Bleu, occupant différents postes et côtoyant les gens à l’usine. En 1965, il rachète l’entreprise de son père, J.-René Ouimet dont le buste trône justement à l’entrée de l’usine.  

Visionnaire, M. Ouimet fut parmi les premiers PDG au Québec à promouvoir l’importance de générer les profits tout en maintenant un degré élevé de satisfaction parmi son personnel.    

Des années plus tard, sa philosophie transcende le temps. « Ici, c’est une famille, dit Stéphane Gignac qui s’occupe de la stérilisation des produits. Il faut le vivre pour le comprendre. Cela fait 36 ans que je travaille et je n’ai jamais vu une organisation et un patron (en l’occurrence Rob McKenzie) qui redonne autant aux employé.e.s.»  

Cette reconnaissance se traduit par l’obtention des meilleures conditions salariales, avantages sociaux dont un fonds de pension et vacances. Cela comprend aussi l’accès rapide et gratuit à un médecin. En juin, l’entreprise a célébré son 90e anniversaire par une croisière sur le fleuve Saint-Laurent. Cette année, le personnel de l’entreprise a eu droit à une semaine supplémentaire de vacances. En période de profits, la direction verse un boni aux membres de l'équipe. 

Un budget consacré au bien-être du personnel 

Le vice-président finance et chaîne d’approvisionnement Daniel Nizri estime important de poursuivre l’œuvre des fondateurs en conciliant l’efficacité avec le bonheur au travail. «Dans notre budget, nous consacrons toujours une portion pour le développement des activités et au bien-être du personnel », précise-t-il.  

Le personnel se dévoue aussi dans la communauté. Des biens, de l’argent sont recueillis pour les personnes démunies. « Cela solidifie les liens entre nous. Notre mission, c’est d’offrir des occasions à nos gens de grandir personnellement et professionnellement. Cela fait partie de qui on est », mentionne Joannie Roy, la responsable du développement humain de l’entreprise.  

Chance et… bonheur  

Sur le plancher de la chaine, on entend le rire de Iona Costache, opératrice de production qui apporte des gâteaux, biscuits lors de l’anniversaire des collègues. « L’harmonie au travail, c’est très important », dit la dame en souriant.  

Non loin, de là, son collègue Walid Ben Salah, opérateur-étiqueteuse renchérit : « Ici, la priorité, c’est la sécurité du consommateur et de l’employé.e. Je suis vraiment heureux de travailler chez Cordon Bleu et je me considère chanceux.»  

Contenu supplémentaire

Cordon Bleu en 4 chiffres  

  • 1933 Année de fondation 
  • 125 employés  
  • 59 produits commercialisés 
  • 4 marques dont Clark, Cordon Bleu, Paris Paté, Esta 

Prendre les idées en considération  

Les rencontres impromptues sur la ligne de montage témoignent de l’esprit de leadership du personnel. « Je ressens que chaque personne travaille comme si l’entreprise lui appartient », nous confie Rob McKenzie, le président et chef de la direction, depuis 11 ans.  

Ce sentiment d’appartenance s’explique aussi par la transparence de la direction. À tous les 3 mois, une rencontre se tient avec les 125 employé.e.s pour expliquer les objectifs, les futurs investissements et la performance de l’entreprise. Toutes les questions sont bienvenues.  

De son côté, le chef d’équipe et électromécanicien Alain Cléroux témoigne de son appréciation. « Nous avons une certaine fierté à travailler pour une compagnie québécoise depuis 90 ans qui nous traite bien et prend en considération nos idées et commentaires », affirme celui qui travaille pour Cordon bleu depuis 23 ans.

L'histoire fascinante de Cordon Bleu 

Chronologie d'une évolution pérenne

1933. Dans son sous-sol de Montréal, J.René Ouimet emprunte 20 000 $ pour lancer une entreprise de distribution de produits alimentaires se spécialisant dans l’importation de fromages d’Europe. À la même époque, à Montréal, une dame, Mme Faille, confectionne des pâtés de viande qu’elle met en conserve. Encouragés par sa popularité, ses fils Lucien et Aimé Faille fondent la compagnie Cordon Bleu ltée.

1941 J.René Ouimet s’établit non loin de Mme Faille. Il découvre le potentiel des pâtés de la dame et achète la compagnie en 1948.

1952 En panne durant une tempête de neige, J.René Ouimet se réfugie chez un cultivateur. Il a alors l’idée de mettre en conserve la fameuse recette du ragoût de boulettes de sa mère.

1961 Cordon Bleu rafle 2 médailles d’or pour son ragoût et sa sauce à la viande aux Olympiades de la qualité qui ont lieu à Bruxelles, en Belgique.

1983 Distribution des pâtés Paris Pâté. Trois ans plus tard, J.-Robert Ouimet fait l’acquisition de cette marque culte québécoise.

1985 J.-Robert Ouimet acquiert la marque de sauces québécoises Esta, développée par Ernest St-Arnaud (ESTA) et fabriquée à Sainte-Geneviève-de-Batiscan.

1988 Installation à Anjou de la manufacture Cordon Bleu.

1990 Cordon Bleu acquière Clark, une compagnie alimentaire montréalaise fondée en 1877 par William Clark et ajoute à sa gamme les fèves aux lards.

2020 L’entreprise décide de prendre une expansion aux États-Unis.

2023 Cordon Bleu remporte 2 prix au 43e Gala des Mercuriades. 

L’équivalent de 125 PDG dans l’usine

De son côté, le directeur Innovation Marketing RH chez Sept24, Gabriel Tremblay a eu aussi le privilège de rencontrer le personnel et les membres du comité de direction. En consultant les 2 parties, il a rédigé les valeurs qui reflètent leur vision.

« Chez Cordon Bleu, les gens ont un pouvoir dans l’entreprise. Ils sont en quelque sorte des intrapreneurs, explique-t-il. Ils peuvent faire des suggestions, proposer des actions, prendre des décisions. » Ces valeurs Être vrai, être fier, être bien, être chez soi ont été définies par des groupes de discussions à l’interne. « C’est ce qu’on véhicule depuis des années », souligne Rob McKenzie, président et chef de la direction de Cordon bleu.

Incarner les valeurs

La responsable du développement des affaires et du marketing Patricia St-Aubin est fière aussi de travailler pour l’entreprise. « Nous avons un président qui incarne nos valeurs dont être vrai, être bien. Par son exemple, il nous incite à devenir non seulement de meilleurs gestionnaires, mais de meilleures personnes.»

Sur le plancher, plusieurs collaborateurs-trices nous ont confié leur admiration pour le PDG qui s’adresse à eux par leur prénom.

Le secret de la rétention du personnel

La force du fleuron québécois réside aussi dans la fidélisation du personnel dont la moyenne d’âge est de 48 ans. « La meilleure stratégie de recrutement consiste à ne pas perdre vos bons employé.e.s, dit M. McKenzie.

Il est essentiel de les conserver, de les valoriser. C’est plus bénéfique que d’en recruter et d’en former de nouveaux. » De son côté, la responsable du Développement humain, Joannie Roy souligne l’engagement et le dévouement du personnel et l’efficacité des nouvelles recrues embauchées lors du quart de soir et de nuit. Plusieurs ont l’opportunité et le talent de gravir les échelons.

« Cette année, 5 personnes ont eu une promotion. Ces gens ont une belle expertise et connaissent notre culture. Notre philosophie est simple : je crois en toi et je vais m’assurer de te donner toutes les conditions de succès afin que tu puisses réussir. » - Joannie Roy, directrice du Développement humain chez Cordon Bleu.

L’avenir s’annonce prometteur

Les projets sont nombreux. « Nous voulons continuer de produire ici au Québec avec les meilleurs produits locaux et poursuivre l’expansion de la division Clark Foods aux États-Unis. Nous comptons déjà plus de 7000 points de vente et sommes sur le point d’en ajouter encore beaucoup plus », explique Patricia St-Aubin, la dynamique vice-présidente, développement des affaires et marketing de la compagnie. Une croissance qui se concrétise face à des géants de l’alimentation tels Heinz, Campbell, Maple Leaf.

L’impression d’être David face Goliath. Entretemps, les dirigeants veulent reconquérir les jeunes consommateurs avec les produits d’ici. Le futur est aussi synonyme d’efficacité opérationnelle. Sans coupure de poste, assure Joannie Roy. « En période de croissance, précise-t-elle, les gens vont pouvoir recevoir de la formation et évoluer dans la compagnie.»

Le conseil de Cordon Bleu pour inspirer les PME du Québec

« C’est d’être humble, vrai, près des gens », mentionne Patricia St-Aubin. « Lorsque nous avons présenté nos 2 trophées aux employé.e.s, au lendemain du Gala des Mercuriades, plusieurs étaient émus et fiers. Ces prix leur reviennent entièrement », ajoute Joannie Roy. Le mot de la fin appartient au président et chef de direction, Rob McKenzie.

« Bâtissez votre compagnie sur de bonnes personnes. C’est nécessaire d’avoir des gens aptes et expérimentés, mais ce n’est pas suffisant. Elles doivent être vraiment de bonnes personnes dans tous les sens du mot », conclut-il.