Laurent Dépond : « la diversité est gage de performance… quand le management est à la hauteur »
Question : Si on vous invitait à intervenir auprès de certaines entreprises, qui souhaiteraient investir dans la diversité, quelle serait votre démarche ? Quels conseils donneriez-vous pour mieux comprendre les enjeux de la diversité ?
Laurent Dépond : Pour être réellement efficace, une politique de diversité bien construite et déployée, doit d’abord cibler les besoins fondamentaux des organisations : elles ont besoin de performance et, pour cela, d’engagement de tous leurs coéquipiers. Le discours doit évoluer pour mobiliser durablement. La contrainte, les quotas n’aident pas en profondeur quand il n’y a pas adhésion du corps social, puisque celui-ci bloque les évolutions, consciemment ou inconsciemment, comme l’ont démontré des études, notamment à Harvard. Créer des oppositions entre catégories est contre-productif. Il est plus efficace de rassembler en parlant « qualité managériale » et « qualité de vie au travail », le déploiement de la diversité suit naturellement. Le sujet aujourd’hui est donc de susciter une adhésion de tous « en profondeur », au-delà des paroles.
Question : Mais alors, pourquoi notre notion de la diversité est-elle biaisée ?
Laurent Dépond : Pour agir efficacement, il faut accepter l’idée, parfois douloureuse, que nous sommes biaisés et que la diversité se confronte à certaines de nos « programmations humaines » qu’il faudra donc contourner. C’est le cas, par exemple, des stéréotypes. Ils sont imprimés dans nos cerveaux et sont largement défavorables à la diversité : dans une très grande majorité de cas, pour plus de sécurité et de simplicité, les humains n’aiment pas la différence qui fait peur ou dérange et recherchent la similitude et les modes de fonctionnements connus plutôt que l’originalité. C’est sur cela qu’il faut aujourd’hui agir intelligemment en activant les bons leviers pour que la diversité fonctionne et s’incarne naturellement en entreprise.
Question : Quelles sont les actions à favoriser pour lever les contraintes et promouvoir la diversité en entreprise, principalement les PME ?
Laurent Dépond : Il s’agit tout simplement de mettre en place des fonctionnements vertueux en matière de gestion des ressources humaines :
- Recruter les bonnes compétences sans biais,
- Mobiliser durablement les équipes grâce à un management qui respecte et reconnaisse chacune et chacun et lui permettre d’être entendu.
Tout cela semble basique, mais c’est l’investissement le plus rentable qui soit.
Prenons le recrutement par exemple. Pour raisonner diversité, il suffit de construire un processus qui soit objectif. Cela commence par la publication large des postes à pourvoir au-delà du cercle restreint habituel, ceci avec une communication attractive pour un maximum de personnes afin d’attirer des candidatures nouvelles. Cela se fait à moindre coût avec les réseaux sociaux. Il faut ensuite les sélectionner objectivement sur la base des compétences réellement requises pour le poste.
Question : Pour cela, faut-il former les recruteurs ?
Laurent Dépond : Cela s’appuie sur le « déminage » des biais du cerveau des recruteurs (ce qui heureusement s’apprend) et sur des regards croisés lors de l’évaluation des candidatures. Il faut aussi bien clarifier ses critères de recrutement : est-ce que je préfère quelqu’un qui connaît déjà les tâches à effectuer ou est-ce que je donne sa chance à quelqu’un qui apprend vite et est très motivé ? À quelqu’un qui va tenir le poste longtemps parce qu’il ne maîtrise que cet environnement ou à quelqu’un qui a un potentiel d’évolution sur d’autres postes ? Est-ce que je veux recruter quelqu’un qui pense et fonctionne comme le reste de l’équipe ou est-ce que j’accepte quelqu’un qui nous apporte de la contradiction bienveillante pour nous faire progresser ?
Ensuite, quand le choix est fait, il est important de faire en sorte que la nouvelle recrue s’intègre parfaitement en tenant compte de ses fonctionnements propres et de ses besoins autant que faire se peut (par exemple en termes d’articulation vie privée – vie professionnelle). En résumé, investir dans la diversité c’est sans doute repenser certains de ses modes de fonctionnements traditionnels et éventuellement former un peu le management, mais c’est d’abord de l’amélioration de processus pour plus de performance donc tout à fait à la portée d’une PME.
Question : Est-ce que la diversité est réellement rentable pour l’entreprise d’aujourd’hui ?
Laurent Dépond : De nombreuses études l’ont aujourd’hui démontré en identifiant les paramètres sur lesquels la diversité agit positivement :
- Meilleure compréhension des besoins des clients
- Créativité et qualité de la prise de décision
- Image employeur
- Qualité de Vie au Travail
- La prévention des risques avec celui d’une réputation dégradée quand une organisation pratique une sélection discriminatoire
Les bénéfices de la diversité, on ne le dit pas assez, ne sont constatés que sous condition de l’émergence d’une culture « inclusive ». Si la diversité est subie comme une contrainte, elle se révèle coûteuse en énergie et en tensions pour l’organisation.
A contrario, le déploiement d’un management « inclusif » avec le développement de la sécurité psychologique des coéquipiers constitue le facteur de performance N°1 que les recherches ont mis en évidence, notamment celles menées par Google (Projet Aristote). Quand chacune et chacun se sent bien dans une équipe et que tous savent qu’ils peuvent s’exprimer sans crainte, quels que soient leur « caractéristiques » ou leur statut, cela génère mécaniquement créativité, engagement, meilleure prise de décision et donc performance. Alors oui la diversité est gage de performance… quand le management est à la hauteur !
Question : Quelles seraient selon vous, les bonnes pratiques à encourager, si on veut promouvoir la diversité ?
Laurent Dépond : On peut les résumer en trois actions :
- Réaliser un état des lieux dans son organisation : état des lieux de la diversité, mais aussi et surtout diagnostic du niveau d’inclusion sans compromis. Si l’entreprise n’est pas inclusive, elle ne sera pas authentiquement diverse. Quand je pratique l’exercice, j’évalue plusieurs paramètres dont la culture (les « croyances »), les processus et la qualité managériale. Une fois le diagnostic posé, en fonction de ses conclusions, vient le temps du plan d’action. Le plus souvent, il faut ajuster les processus, et faire évoluer la culture grâce à des communications efficaces. Avec mes équipes, nous l’avons fait sur deux cibles prioritaires dans notre organisation : les personnes en situation de handicap et les LGBT+ (voir détails plus loin).
- Former le management aux enjeux de la diversité et aux biais qui peuvent empêcher involontairement de la laisser s’épanouir. Bien sûr, la formation doit être percutante et s’appuyer sur les bons leviers pour agir sur les « programmations humaines », c’est que nous avons à cœur de mettre en œuvre aujourd’hui plutôt que d’aborder le sujet de la diversité par les règles de la non-discrimination.
- Il faut accompagner les personnes qui s’autocensurent, par un mentoring adapté pour leur permettre d’exprimer leur plein potentiel et de progresser en responsabilités parce que la diversité reste encore trop souvent en bas de la pyramide hiérarchique.
Actions envers les personnes handicapées et les LGBT+
- Construire un plan de communication massif avec les équipes des communications et j’ai « négocié » dans le cadre d’un accord avec les représentants du personnel des avantages pour les travailleurs handicapés qui en avaient besoin : cela allait d’aménagements d’horaires pour tenir compte de la pénibilité (ex : malentendants) au financement des aides à l’aménagement des conditions de travail ou des appareils auditifs.
- Mettre en place des dispositifs de communication multidimensionnelle valorisant des personnes handicapées. Exemple : encourager les dirigeants du groupe à prendre la parole en s’engageant dans des initiatives internationales en faveur de l’emploi des PH, organiser des parcours et défis avec des associations mettant en scène de façon ludiques des situations de handicap où les salariés testent un parcours en fauteuil, dans le noir, chargé de poids, etc. ou encore à l’aide d’applications de réalité virtuelle.
- Création de vignettes de témoignages pour les personnes LGBT+ sur leur histoire : avant, pendant et après leur dévoilement avec des profils différents en termes de responsabilités, de fonctions. Exemple : Chez Orange cette initiative a même mené à la conception d’un film : http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/46528_1.
- Co-construction d’une charte d’engagement vis-à-vis de l’égalité des droits en entreprise avec d’autres entreprises engagées.
Laurent DEPOND est directeur du développement de l’Institut de Neurocognitivisme, consultant en RH et transformation, conférencier, formateur. Il a été pendant près de 10 ans, Vice-président diversité et inclusion du groupe Orange.