Immigration et main-d’œuvre : 3 profils et 4 pistes de solutions
Leur parcours a été mis en lumière lors de la Journée économique de la FCCQ, tenue à Trois-Rivières, le 15 novembre dernier.
Animé par Charles Milliard, le PDG de la FCCQ, le panel a réuni Léo Ziadé, un entrepreneur à succès dans le monde immobilier ainsi que Christelle Kauza, spécialiste en ressources humaines qui œuvre dans une PME en Mauricie et Pedro Villagran, associé d’une entreprise spécialisée en transformation numérique.
Recrutement des immigrants à l’étranger : solution no 1 à la pénurie de main-d’œuvre
À tour de rôle, tous ont exprimé leur fierté de recruter des candidats issus de l’immigration tout en précisant des solutions tangibles pour surmonter l’actuelle pénurie de main-d’œuvre.
C’est le cas de Christelle Kauza, directrice des ressources humaines chez Viandes Lafrance, une PME de Shawinigan qui compte 13 nationalités différentes parmi son personnel.
« C’est un parcours de combattant, mais c’est la solution : les locaux ne veulent pas de certains postes et les travailleurs étrangers eux, veulent améliorer leur qualité de vie », explique Mme Kauza qui a mis en œuvre des plans de recrutement en Asie, Afrique, Amérique Latine.
Certes, la difficulté de recruter des employé.e.s est immense au Québec, reconnait l’homme d’affaires Léo Ziadé. Certains commerces ferment ou diminuent leur nombre d’heures, faute de main-d’œuvre. « Depuis quelque temps, on fait affaires avec l’étranger. Ces gens sont prêts à s’investir sans compter afin de réussir et s’intégrer », ajoute-t-il.
Même son de cloche du côté de Pedro Villagran qui donne de l’emploi à 20 personnes dont la moitié est issue de l’immigration. « C’est une grande fierté d’avoir bâti mon entreprise avec les valeurs québécoises, renchérit-il, et de donner un maximum de chances à ceux qui veulent travailler.»
Donner plus de pouvoirs aux municipalités en matière d’immigration : solution 2
M. Villagran estime que la solution réside dans l’attractivité des régions. « On vante souvent Montréal et Québec comme endroits où s’établir et il y a peut-être un meilleur marketing à faire concernant les autres régions.»
« On aurait avantage aussi à arrimer les différents paliers gouvernementaux afin de donner plus de pouvoirs aux municipalités afin qu’ils puissent faire leur propre petite séduction» , suggère-t-il.
De son côté, M. Ziadé déplore le manque de connaissance des régions et les possibilités d’y travailler. Il s’est même dit favorable à un incitatif pécunier afin de rémunérer davantage les immigrant.e.s qui décident de s’établir en dehors des grands centres.
Salaire moyen d’un travailleur immigrant en 2021
La rémunération hebdomadaire moyenne des immigrants reçus au Québec en 2021 était de 979,55 $ ou de 50 937 $, annuellement. Source : Institut du Québec.
Améliorer les délais des dossiers des immigrants : Solution 3
Le PDG de la FCCQ et animateur du panel, Charles Milliard a posé la question que tout le monde se pose.
-« Le seuil de 50 000 immigrants est-il suffisant pour régler cette crise de la main-d’œuvre ? »
La spécialiste en ressources humaines Christelle Kauza soutient que le problème n’est pas le seuil d’immigrants fixé à 50 000 par le gouvernement. « Même si on augmente le seuil, le problème ne changera pas : les délais administratifs sont trop longs. Chez nous, nous avons déposé un dossier en décembre 2021 et nous avons validé notre candidat en octobre dernier», indique-t-elle.
Entretemps, les entreprises comme Viandes Lafrance ont besoin de produire et de répondre à la demande des clients.
« Même si on a simplifié la documentation, c’est encore trop long. Il faut accélérer le processus de la documentation.Parfois, les propriétaires descendent sur le plancher afin de prêter main-forte aux employé.e.s.», témoigne Mme Kauza.
« L’enjeu ressemble à un tuyau. Il y a quelque chose bloqué à l’intérieur», illustre Charles Milliard.
Ce qu’admet Pedro Villagran qui pense à haute voix: « vous savez, le seuil de 50 000 immigrants, c’est davantage un truc politique. Si tu es à gauche, ce nombre va être plus élevé et si tu es à droite, il va être plus petit. Dans le fond, c’est le processus qu’il faut régler.»
Accueil des étudiants étrangers : solution 4
Pour sa part, le promoteur immobilier Léo Ziadé explique l’importance de faciliter les démarches pour les nouveaux immigrant.e.s. « Cela prend parfois 4 ans entre le temps que quelqu’un fasse sa demande et son arrivée au pays. C’est énorme. Je pense que notre futur, ce sont les étudiant.e.s étrangers-ères universitaires. Il faut les encourager à rester et à leur donner rapidement des permis de travail. Ils connaissent déjà le pays et peuvent s’intégrer plus facilement. »
L’animateur du panel et PDG de la FCCQ, Charles Milliard évoque la capacité d’adhésion par région. « Il faut connaître la mesure factuelle objective à savoir combien on peut accueillir de personnes dans une région avec des services de garde, de logements, d’infrastructures sportives et bien sûr, si des cours de français sont disponibles.»
Cette quantification d’immigrant.e.s et l’atteinte de ces objectifs par région ou territoire est vitale. Au fond, le seuil immigratoire, quel qu’il soit, apparait bien futile, selon lui, si les conditions préalables ne sont pas remplies dans les communautés d’accueil.
Le mot « intégration» péjoratif ou non ?
Lors du panel, Charles Milliard a demandé si le mot intégration est approprié afin de désigner le parcours de chacun.e.
« Intégration est réellement le vrai mot : quelqu’un rentre dans un système qui est nouveau pour lui et différent quant à la mentalité, l’approche, les habitudes, le climat», mentionne l’homme d’affaires Léo Ziadé.
Né au Liban, ce dernier est arrivé au Canada en pleine tempête de neige, le 7 novembre 1970. Âgé de 20 ans, il désirait alors découvrir le Québec comme touriste. Finalement, il décide de s’y installer pour de bon.
« Je me suis bien intégré en connaissant les règles, les lois et les possibilités de réussite, confie-t-il. Cela prend de la volonté et de la connaissance, mais je suis courageux et j’ai pris la décision d’avancer.»
Après l’obtention d’un baccalauréat en administration à l’UQAM, il travaille comme courtier immobilier avant de lancer sa compagnie de gestion immobilière en 1981, Invest Gain Ltée.
Aujourd’hui, son entreprise détient un portefeuille en gestion de centres commerciaux, des propriétés de location à revenu et co-propriétés. Les affaires vont très bien avec l’expansion récente d’une succursale en Floride.
L’immigration et l’adhésion aux valeurs québécoises
De son côté, le vice-président et associé chez BlueKangGo Canada, Pedro Villagran a témoigné de son désaccord face à l’utilisation du vocable intégration.
« Deux mots me répugnent concernant l’immigration soit intégrer et quota qui sont associés avec machine et bétail. Sans vouloir faire de sémantique, le vrai terme pour moi, c’est adhésion.»
En 1978, le Chili est aux prises avec le dictateur Augusto Pinochet. Les parents de Pedro Villagran décident d’immigrer au Québec en juin. « Ici, je vais pouvoir travailler, vous éduquer et collaborer à la société québécoise », réitère son papa.
Malgré leur tristesse de quitter sa grand-mère, ses cousin.e.s et ses tantes, le jeune garçon et sa famille vont apprendre le français en l’espace de 2 mois grâce à une immersion intensive. « Il y a beaucoup de facilités au Québec si tu as besoin d’aide, il y a les subventions, associations, organismes. Mais à quelque part, il faut se retrousser les manches et c’est ce que j’ai fait », précise l’entrepreneur et chargé de cours en gestion de la qualité et des risques à l’Université de Montréal et École Polytechnique depuis 2009.
Après des études primaires à Cap-de-la-Madeleine, près de Trois-Rivières, il obtient d’abord une formation comme clinicien, un baccalauréat et finalement une maîtrise en administration de l’ENAP avec spécialisation en gestion de la qualité et des risques.
Aujourd’hui, son expertise est reconnue auprès des entreprises privées et publiques dans les secteurs clés de l’économie québécoise dont la santé, l’agro alimentation, l’éducation.
1,3 million d’immigrant.e.s accueilli.e.s entre 2016 et 2021 au Canada. Source: Statistiques Canada
De belles opportunités en région
Lors de la rencontre, Charles Milliard a abordé le volet d’une meilleure répartition d’immigrants en région. « Comment s’assurer que des gens arrivant du Maroc s’aperçoivent des belles opportunités qui existent à Sept-Îles ? », demande-t-il.
« Quand on parle du Canada, répond Christelle Kauza, spécialiste en ressources humaines, on parle toujours de Montréal qui est vue comme la terre promise et la possibilité d’obtenir un bon salaire et un appartement rapidement. »
En 2011, Mme Kauza est venue de Paris pour visiter le Québec en compagnie de son petit garçon de 3 ans et son conjoint de l’époque. En 2012, elle décide d’immigrer au Québec. « Une expérience qui n’est pas une chose facile », confie-t-elle.
Parcours de combattant.e
À 40 ans, elle retourne aux études afin d’obtenir une certification en ressources humaines alors qu’elle possède une expertise de 14 ans dans le domaine. « J’ai été très chanceuse, n’ayant pas de difficulté à me trouver un emploi rapidement.»
Depuis 3 ans, Mme Kauza occupe le poste de directrice des ressources humaines chez Viandes Lafrance, une entreprise dirigée par Indira Moudi, elle-même originaire du Niger, qui a pris la relève de ce fleuron québécois en 2012.
Mme Kauza a choisi Shawinigan en raison la proximité de la nature et de sa tranquillité. Je voulais élever mes enfants sereinement en région. Je travaille à 3 minutes de la maison et mes enfants sont à 2 minutes à pied de leur école.»
Son parcours et celui des autres panelistes ont suscité une écoute attentive des 200 invités à la Journée économique de la FCCQ. En espérant que leurs solutions aux enjeux de main-d’œuvre puissent aussi trouver un écho auprès des décideurs.
80 % des immigrants choisissent de s’établir à Montréal
De 2015 à 2019, plus de 80 % des immigrants se sont installés à leur arrivée dans la région métropolitaine de Montréal.
- 37 260 moyenne annuelle d’immigrants dans la région de Montréal
- 2 852 dans la Capitale Nationale
- 2 383 Montérégie
- 2 093 Laval
- 321 en Mauricie
Source : Institut du Québec