Devenir un employeur inclusif par l’embauche de personnes en situation de handicap
Depuis un an, l’entreprise RHM Industries emploie Steven Brousseau-Déry qui travaille comme journalier à l’entretien. Souffrant d’une légère déficience intellectuelle depuis sa naissance, l’homme de 32 ans accomplit différentes missions au quotidien.
« Il s’agit d’un emploi très routinier, explique Maryse Morin, conseillère en ressources humaines de l’usine spécialisée dans la réparation mécanique de pièces surdimensionnées. Pour certains, cela est sécurisant d’avoir un horaire et des tâches régulières.»
De son côté, Steven témoigne de sa satisfaction. «J’aime mon travail parce que je ne fais pas toujours la même chose durant ma journée », nous confie-t-il, en étant reconnaissant de sa chance d’avoir un emploi et des collègues, avec qui il s’entend bien.
Donner la chance de se faire valoir
Mme Morin explique que la direction de l’entreprise tient à donner une chance à des gens comme Steven de faire leur place.
« Cela fait partie de notre mentalité, dit-elle. Pendant 15 ans, nous avons embauché Denis Bourget, une personne trisomique. Même s’il est à la retraite aujourd’hui, des employé.e.s lui parlent encore à tous les jours. Il fait partie de la famille. »
Au quotidien, des travailleurs comme Denis et Steven vivent avec un handicap invisible.
Qu’est-ce un handicap invisible?
Le handicap invisible, c’est quelque chose qu’on ne voit pas. Cela peut être une déficience auditive, visuelle, un trouble mental comme la schizophrénie ou la bipolarité, une dyslexie ou dyspraxie. Néanmoins, cela a un effet sur la qualité de vie de la personne atteinte.
Saviez-vous que ?
Seulement 2 % des personnes en situation de handicap sont en fauteuil roulant et 80 % des handicaps déclarés sont invisibles.
Exit les préjugés
En contrepartie, selon Maryse Morin, il faut prendre plus de temps d'expliquer le travail ou préparer des aide-mémoires pour assurer la sécurité dans l’usine.
Mme Morin suggère aux employeurs de surmonter leur appréhension concernant l’embauche de gens ayant un handicap. « Il faut simplement être ouvert d’esprit, patient et à l’écoute. »
En occupant un emploi, ces gens peuvent ainsi acquérir une confiance en soi. « Steve est souriant, travaillant et il est toujours réceptif à nos demandes. De tempérament taquin, il aime faire rire les gens», ajoute Mme Morin.
La responsable des ressources humaines de l’usine de 102 employés située à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec, souhaite recevoir davantage de CV provenant de personnes ayant un handicap.
Car les employés comme Denis ou Steven sont des gens extrêmement sensibles, anxieux de bien effectuer le travail.
« Si j’oublie de dire bonjour à Steven, par exemple, il vient vérifier si je suis fâchée. En réalité, leur présence nous emmène à ralentir, à prendre le temps et de mettre l’humain au cœur de nos priorités », illustre Maryse Morin.
Le témoignage inspirant de Kim Auclair qui transforme sa différence en une force
En entrevue virtuelle, le dynamisme de Kim Auclair transcende l’écran. Pourtant, la brillante jeune femme vit depuis sa naissance avec un handicap invisible.
« Je suis née avec une surdité de sévère à profonde, explique-t-elle. J’ai porté deux appareils auditifs vers l’âge de 7-8 ans. Puis, en 2019, grâce à un implant cochléaire, j’entends maintenant de l’oreille droite », explique la consultante en communications.
Spontanément, elle avoue détester l’utilisation du mot handicap. « Cela ne devrait pas exister parce que cela crée un blocage. Techniquement, pour moi, cela a été long avant de l’assumer.»
Plus jeune, à la Polyvalente de Charlesbourg, à Québec, elle comprend difficilement ce qui se dit dans la classe. « J’en ai arraché, confie-t-elle, car je ne voulais pas déranger les gens. Je ne demandais pas d’aide puisque je voulais être comme les autres.»
Bon à savoir :
En 2017, 16,1 % des Québécois.e.s de 15 ans et plus ont une incapacité. Par conséquent, cela signifie qu’ils sont limités dans leurs activités quotidiennes. Cette proportion représente environ 1 053 350 personnes.
39 000 $
En 2017, le revenu annuel médian était de 39 000 $ au Canada. Pour les personnes vivant avec un handicap considéré sévère, la médiane était plutôt de 19 200 $.
Voir au-delà du handicap
La jeune femme démarre sa propre entreprise en graphisme en 2003. « Je ressentais un blocage chez les employeurs qui hésitaient à m’engager puisque j’avais écrit dans mon CV que j’étais sourde.»
Aujourd’hui, elle conseille aux dirigeant.e.s et gestionnaires d’entreprise de miser sur les habiletés et les connaissances de la personne. « Je recommande de s’intéresser à l’être humain et d’adapter le poste en fonction des forces de chacun.e. Il ne faut pas juger selon les apparences, mais selon les compétences. »
Depuis plusieurs années, elle-même collabore avec des gens qui ont une différence comme une difficulté de langage ou une paralysie faciale. Dans le milieu du travail, il faut avant tout une ouverture d’esprit perceptible aussi dans les offres d’emploi.
Dès le recrutement
« En pénurie de personnel, dit-elle, il est peut-être souhaitable d’inscrire votre réceptivité à l’embauche de candidat.e.s ayant une différence ou un handicap. »
C’est le cas d’Hydro-Québec qui fait montre d’une telle ouverture dès l’affichage d’un poste ou d’un stage. « On suggère de nous indiquer les besoins particuliers ou le désir d’être accompagné.e par un organisme externe lors de l’entrevue de présélection », explique Caroline Lebeau, conseillère en Équité, Diversité et Inclusion chez Hydro-Québec, au cours d’un webinaire organisé par le comité consultatif des personnes handicapées portant l’adaptation de leur milieu de travail.
L’important, selon Mme Lebeau, c’est de comprendre leur réalité et leurs défis. « On veut s’assurer, dit-elle, de trouver les bonnes stratégies pour les soutenir dans l’exécution de leurs tâches.»
L’adaptation et les accommodements prennent ici tout leur sens. Si quelqu’un a une limitation à un bras, par exemple, Hydro-Québec offrira un ordinateur à la maison et un autre au bureau. L’inclusion, selon Mme Lebeau, est au cœur des priorités et valeurs d’Hydro-Québec. L’entreprise tient à aborder les situations d’incapacité, mais aussi d’anxiété, neurodiversité en proposant des projets inédits ou en testant des initiatives et stratégies.
Quelle est la meilleure façon de les accueillir?
« C’est de poser les bonnes questions », précise Andrée-Anne Forest, conseillère en main-d’œuvre pour l’organisme SEMO Gaspésie-les Îles-SEMOGIM qui aide les employeurs à accueillir des gens ayant un handicap. Par exemple:
- Que puis-je faire pour vous aider et améliorer l’accessibilité de notre lieu de travail ?
- Concrètement quels outils ou mesures avez-vous besoin pour bien mener votre tâche et s’assurer d’une meilleure intégration dans ton emploi ?
- Comment pouvons-nous adapter nos façons de travailler et nos attentes pour créer de meilleures conditions ?
Mme Forest estime que l’essentiel c’est de faciliter l’intégration dès la première journée en emploi et de mettre en place les accommodements et outils nécessaires. « Souvent, on constate qu’on n'a pas nécessairement besoin de mesures d’adaptation et l’important, c’est que l’employé.e se sente bien accueilli.e.»
Un outil essentiel : passeport pour l’accessibilité en milieu de travail
De plus en plus d’employeurs s’inspirent du passeport d’accessibilité en milieu de travail du gouvernement du Canada mis en place dans la fonction publique du Canada. Que contient le passeport ?
- L’employé.e décrit les obstacles rencontrés au travail.
- Le salarié.e propose des solutions.
- Son gestionnaire met alors en place les outils d’adaptation et mesures de soutien nécessaire à son bien-être.
Au Québec, 17,8 % des femmes âgées de 15 ans et plus ont une incapacité, ce qui correspond à 590 610 personnes, selon les données de l'Enquête canadienne sur l'incapacité de 2017;
8,6 % des personnes en situation de handicap au Canada exercent une entreprise à leur compte.
Accepter sa surdité pour aller plus haut
En 2017, au moment de la diffusion de son livre « Dans la tête d’une entrepreneure : mes débuts en affaires », Kim Auclair décide de ralentir le rythme. « J’étais épuisée et j’ai alors commencé à accepter ma surdité. Avant, je ne l’acceptais pas. Je me suis toujours adaptée aux autres, à la société », ajoute-t-elle en toute franchise.
Une rencontre survenue lors de sa tournée de promotion reste déterminante. « C’est bizarre, lui dit-on, tu ne parles jamais de ta surdité alors que c’est ce qui te rend unique. »
Ces mots ont l’effet d’une révélation, d’une prise de conscience.
« C’est important de montrer sa vulnérabilité. J’ai longtemps hésité à parler ouvertement de ma surdité dans le milieu professionnel par crainte de perdre un contrat ou en raison du jugement des autres. Je ne voulais pas que l’on m’associe seulement à mon handicap invisible.»- Kim Auclair
Création d’un outil de communication pour la communauté sourde
En avouant ouvertement son handicap, Kim Auclair a eu l’opportunité de participer à la campagne Il y a un emploi pour toi de l’Office des personnes handicapées.
Puis, en collaboration avec des chercheurs et des organismes sans but lucratif, elle conçoit des outils de communication destinés aux gens atteints de surdité.
La jeune femme de 38 ans décide d’avoir un réel impact dans la société. Courageusement, elle partage sur Instagram son parcours concernant sa réadaptation cochléaire. Par la suite, elle crée une bande dessinée visant à sensibiliser les gens à la surdité.
« Aujourd’hui, dit-elle, des gens d’affaires m’écrivent en privé pour me confier qu’ils sont en train de perdre l’ouïe et me demandent les ressources disponibles. »
L’importance de modèles dans sa vie
En affichant sa surdité, Kim Auclair a l’impression d’être utile aux autres. Une personne de son entourage vient d’apprendre à 44 ans qu’elle est autiste. « Je lui ai dit : c’est à toi d’inventer ton propre modèle, ta méthode. Plus jeune, moi-même, j’ai manqué de modèles. Je ne m’identifiais pas aux personnes sourdes et malentendantes de mon entourage.»
Aujourd’hui, avec le recul, la jeune entrepreneure comprend la crainte de ceux qui vivent avec un handicap invisible comme la surdité. « Nous avons peur de faire pitié, mais il faut trouver un équilibre et montrer que nous sommes des gens d’affaires avec une différence. Et je pense que cette différence rend notre parcours exceptionnel et montre que nous sommes capables de se débrouiller autrement et de surmonter les défis» , avoue-t-elle.
« Nous avons réalisé que l’important, c’est de répondre aux besoins des employé.e.s et de savoir comment on peut les soutenir. On veut que tous soient bien outillés dans notre organisation et sachent qu’il y a une place pour chacun des talents dans notre organisation», conclut de son côté Caroline Lebeau, conseillère en Équité, Diversité et Inclusion chez Hydro-Québec.
S’ouvrir à la différence c’est :
- Adapter votre établissement pour accueillir une clientèle handicapée, mais aussi donner un emploi à des gens comme Kim, Steven ou Denis. De l’aide et des mesures financières existent. On se renseigne auprès d'un organisme de votre région.
- On s'informe sur les programmes financiers ou crédit d’impôt concernant l’embauche d’une personne ayant un handicap invisible ou non.
- En lisant nos deux précédents reportages : Le handicap en milieu de travail; place à l'humain et Julien, la star de la restauration à Val-d'Or .