De la gestion traditionnelle à une gestion en pouvoir partagé

06-05-2021
Le monde du travail est en transformation. Les effets du passage accéléré d’une « économie de marché » à une « économie de réseaux » sont complexes et souvent difficiles à prévoir. De plus, nous vivons des changements majeurs auxquels nous n’avons jamais été confrontés : transformation de l’économie, changements climatiques, nouveaux modèles de gouvernance, évolution de la dynamique privilège-marginalisation, etc. Face à ce constat, les organisations doivent adopter de nouvelles pratiques pour survivre et développer de l’agilité pour atteindre les buts qu’elles se sont fixés. Emprunter la voie de la transformation vers un modèle de gestion en pouvoir partagé semble une avenue prometteuse.
Rédigé par :
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Sonia Lefebvre, cofondatrice de L’ILOT
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Pratiques RH, Développement organisationnel, gestion en pouvoir partagé

 

 

Qu’est-ce que la gestion en pouvoir partagé ?

Il existe plusieurs définitions entourant les modèles de gestion partagés (ex. gestion horizontale, autogestion, autogouvernance, gouvernance partagée) chacune étant associée à une approche qui lui est propre. Mais, avant de plonger dans ces différentes approches, ce qui nous parait important dans un premier temps, c’est plutôt de comprendre de quoi nous parlons vraiment lorsqu’on parle de pouvoir partagé.  

À sa plus simple expression, à L’ILOT, nous considérons le pouvoir comme « la faculté de créer un mouvement à l’intérieur d’un système ». Si l’on accepte cette représentation simple du pouvoir, nous pourrions alors définir le pouvoir partagé comme « la capacité de chacun à créer un mouvement au sein du système, de l’organisation ».

C’est lorsqu’on accepte cette définition du pouvoir partagé au sein de l’organisation que l’on tend à s’investir dans des pratiques qui encourageront la responsabilisation de chacun. Et, dans un contexte où le monde se complexifie et change continuellement, la capacité de responsabilisation de chacun des membres face à la prise de décision dans l’organisation, et ce, au-delà des compétences techniques et spécialisées, devient une source inestimable pour affronter les incertitudes d’un monde en transformation. La créativité, la collaboration et l’autodirection par exemple sont des pratiques qui prennent alors tout leur sens.

La gestion en pouvoir partagé invite ainsi à distribuer le pouvoir dans l’organisation de manière à ce que les décisions ne soient pas prises par une seule personne. Il s’agit de décentraliser la prise de décision, la faire descendre du haut de la pyramide, pour renforcer la capacité de chacun à se responsabiliser, notamment concernant son propre rôle dans l’organisation. 

Passer du leadership individuel à un écosystème de leaders

Cette conception de la distribution du pouvoir dans l’entreprise nous invite à repenser le leadership au sein des équipes de travail. Il ne s’agit plus d’avoir un leader fort au charisme imposant qui prendra toutes les décisions pour le groupe ou l’organisation, mais plutôt de développer un réseau de plusieurs leaders complémentaires qui sauront mettre à contribution leurs expériences et leurs expertises au service de l’intelligence collective, et à terme au service du bien-être de l’organisation.

Ainsi, cette approche de gestion a l’avantage de mettre à profit les forces de chacun, de miser sur leurs expériences concrètes et d’user de l’intelligence collective pour identifier rapidement des solutions aux enjeux auxquels l’entreprise fait face.

Si l’idée de passer d’un leadership individuel à un écosystème de leaders parait simple, ce n’est pas toujours le cas et il n’existe pas de recette parfaite ! Pourquoi ? Parce que cette nouvelle approche invite chaque membre de l’organisation à revisiter sa propre relation au pouvoir, à faire évoluer sa posture et à renouveler ses propres pratiques de collaboration. Et c’est ce point précisément qui constitue le plus grand défi du passage d’une organisation au mode de gestion dit traditionnel à un mode de gestion en pouvoir partagé.

Par où commencer : 4 conditions favorables

L’Ilot vous propose à travers la documentation de l’expérience de transformation organisationnelle de Pour 3 Points qu’ils ont réalisés en 2019, 4 conditions favorables à l’implantation de cette nouvelle approche de gestion.

1. L’engagement du leader en place

Le leader en place doit avoir intégré une vision du monde et des valeurs qui agissent en cohérence avec cette nouvelle approche, puisqu’il devient le principal « gardien » du nouveau mode de gestion. Il doit donc en quelque sorte incarner ses valeurs au quotidien et être un modèle pour les membres de l’organisation.

La première condition favorable à la transformation du mode de gestion sera donc la déclaration d’engagement du dirigeant en place. En communiquant clairement ses intentions et son engagement à son équipe, il invite l’équipe à s’engager à son tour. En partageant sa vision, il informe aussi l’équipe de l’évolution de son propre rôle dans l’entreprise : il devient un guide, un accompagnateur pour soutenir le développement d’un écosystème de leaders au sein de l’organisation. Et cela implique non seulement d’incarner les valeurs de ce nouveau système, mais aussi de soutenir la mise en place d’outils et de mécanismes permettant de l’actualiser,

2. Des espaces de confiance

Offrir des espaces de dialogue sécuritaire permet aux équipes d’accéder à un niveau de compréhension qu’un individu seul ne peut atteindre, de sentir qu’elles construisent quelque chose ensemble et de voir les autres comme des alliés. Or, on ne peut être pleinement nous-mêmes et s’engager dans un vrai dialogue que si l’on sent qu’il n’y a aucun danger à le faire. Chaque membre de l’organisation a le pouvoir et le devoir de participer à l’émergence du cadre de confiance, et par conséquent, il est de la responsabilité du collectif d’en être le gardien. Mais comment ?

L’une des pistes pour développer ces espaces de confiance pourrait être de mettre des règles de base dans les réunions pour favoriser le dialogue (et nommer un gardien de ces règles par exemple) pour réduire la perception d’un danger à se dévoiler : laisser de côté ses a priori, se comporter en allié, permettre à tous d’évoquer des questions difficiles, conflictuelles ou importantes pour l’organisation, etc. Une autre piste pourrait être de commencer les rencontres par un moment de silence, de réflexion personnelle ou de recueillement pour permettre à tous les membres de l’équipe de reconnaître et d’accepter leur état d’esprit (ex. : stressé, préoccupé, rieur, endormi) et d’entrer pleinement dans la réunion qui commence.

Peu importe le moyen mis en place, pratiquer ensemble les conditions inhérentes à la confiance, ouvertement et en conscience, en se permettant d’être parfois malhabile, de faire des erreurs, voire même de générer des tensions est essentiel au développement de la culture de confiance nécessaire dans les modèles de gestion en pouvoir partagé.

3. L’accompagnement des personnes

Introduire la notion de pouvoir partagé au sein d’une organisation peut générer des inconforts puisqu’elle implique de développer de nouvelles pratiques organisationnelles qui auront nécessairement un impact sur les individus.

Pour bien comprendre ce défi, imaginons deux exemples volontairement à l’opposé l’un de l’autre. D’un côté, un leader décisionnel qui sait s’affirmer, prendre des initiatives et utiliser son pouvoir. Selon sa représentation du pouvoir, confronté à l’idée du pouvoir partagé, il pourrait concevoir que cela implique de partager « son » pouvoir avec les autres (voir le pouvoir comme effet de rareté). D’un autre côté, une personne qui s’affirme peu ou choisit avec prudence ses moments d’affirmation, et qui n’utilise pas régulièrement son pouvoir individuel, pourrait être confrontée à l’idée qu’elle doive « prendre » un certain pouvoir existant dans l’organisation.

Dans ces deux exemples, on constate que le changement de mode de gestion crée une certaine pression chez les individus qui auront à cheminer dans leur représentation du pouvoir tout en faisant évoluer leurs pratiques quotidiennes. Il est donc essentiel que des mécanismes d’accompagnement et de soutien des personnes soient déployés pour faciliter les changements de pratique et faire évoluer les représentations que chacun a du pouvoir dans l’organisation.

Formation, coaching, groupe de soutien pair à pair et toute autre forme d’accompagnement peuvent être mis en place. L’important est d’assurer que des moyens soient mis à disposition de l’équipe pour que chacun puisse obtenir les outils dont il a besoin pour avancer dans cette transformation.

4. Une curiosité bienveillante à expérimenter

Tendre vers un modèle de gestion en pouvoir partagé constitue un chemin. Un chemin rempli d’expériences humaines, de complexités, de défis et d’occasions. Il n’existe pas de chemin tracé, ni de structures définies, ni de consignes ou d’étapes clés à franchir. Tendre vers un modèle de gestion en pouvoir partagé constitue une pratique quotidienne, individuelle et collective, d’essais et d’erreurs.

En adoptant une posture de curiosité bienveillante, envers soi-même, envers les autres et envers le chemin collectif emprunté par l’organisation, le parcours est moins houleux et offre des découvertes fascinantes sur soi, sur les autres et sur les potentiels de l’entreprise. L’expérimentation devient alors un creuset de possibilités !


À propos de Sonia Lefebvre, cofondatrice de L'ILOT

Curieuse et engagée, Sonia explore, expérimente et affine en continu ses approches de gestion, de développement et d'accompagnement en privilégiant les processus collaboratifs et d’appartenance. Son regard anthropologique sur la gestion des organisations et son approche sensible des transformations individuelles et collectives offrent des conditions propices au partage, à la découverte (de soi, de l’autre et de l’organisation) et à l’apprentissage par l’expérience. Sa plus grande force réside dans sa capacité à créer des passerelles entre les individus – et entre les organisations – pour favoriser un dialogue profond et ainsi provoquer le petit mouvement qui mène à la transformation.

 


Pour aller plus loin :

LALOUX, Frédéric. Reinventing organizations : vers des communautés de travail inspirées, Paris, Éditions Diateino, 2019, 483 p.
LEFEBVRE, Sonia. Vers un modèle de gestion en pouvoir partagé : l’expérience de Pour 3 Points : https://www.lilotcoop.com/publications-lilot
SLADE, Samantha. Le leadership horizontal : instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 256 p.