Une seule conduite grave : du harcèlement?

20-09-2020
Une personne peut être défini comme victime de harcèlement psychologique même s’il est exposé à une seule conduite grave alléguée ! Dès lors, il faut que cette conduite ait un effet nocif et continu sur l’employé l’ayant subi […]
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Philippe Dion et Élaine Léger, FASKEN
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Pratiques RH, bonnes pratiques, prévention harcèlement, harcèlement psychologique, harcèlement sexuel, milieu de travail, conduite grave

En vertu de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT »), un salarié peut être victime de harcèlement psychologique même s’il est exposé à une seule conduite grave alléguée. Dès lors, il faut que cette conduite ait un effet nocif et continu sur l’employé l’ayant subi.

Vous avez Jean, superviseur, qui perd patience lors d’une conversation avec Maurice. Jean s’approche à « deux doigts » de l’employé, parle fort et selon l’employé, il sacre et postillonne sur lui tout en le menaçant.  Bien que la conversation se soit envenimée à un certain point, celle-ci s’est ensuite calmée au point où les deux employés ont mis fin à leur argument en se serrant la main.

Une telle conduite isolée constitue-t-elle du harcèlement? Quels seront les critères retenus par les décideurs pour déterminer si une seule conduite est suffisamment grave pour constituer du harcèlement psychologique?

En présence d’un seul geste ou un événement unique, un décideur devra déterminer si l’événement représente « un certain degré objectif de gravité »1. En d’autres mots, il faut déterminer si « une personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances, dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle de la prétendue victime d’harcèlement psychologique »2. L’aspect de l’effet nocif continu joue ici un rôle important. Ainsi, une conduite sera jugée comme étant grave si elle est « manifestement hors de l’ordinaire et qu’elle est carrément inexcusable »3.

Dans l’affaire de la ville de Sherbrooke4, dont les faits sont similaires à ceux mentionnés ci-haut, l’arbitre résume l’analyse de la situation qu’il doit faire de la façon suivante :


« […] l’exercice de qualification de la preuve auquel le tribunal est convié demande d’envisager celle-ci comme un tout, un continuum ayant en amont la cause du préjudice allégué, c.-à-d. un acte vexatoire particulièrement grave, et en aval, sa conséquence, c.-à-d. des effets nocifs continus. Le geste vexatoire unique ainsi analysé doit se révéler d’une gravité telle en raison de ses conséquences nocives continues qu’il ne sera plus possible de le considérer pour être vraiment isolé puisque ses effets continuent de se perpétrer et de se répéter dans le temps au prix d’une crainte raisonnable d’une détérioration des conditions de travail.»5


Dans les motifs de sa décision, l’arbitre note que malgré que la conversation ait été animée à un certain point, elle s’est finalement apaisée. Il ajoute également que, selon la preuve présentée, l’employé a contribué à ce que la discussion s’envenime. De plus, l’employé se trouvait déjà dans une phase dépressive avant la rencontre. Bien que la conversation ait tourné à l’engueulade, elle est toujours demeurée autour de questions professionnelles, selon l’analyse de l’arbitre. Il en vient donc à la conclusion que l’événement ne présente pas le degré objectif de gravité significatif pour qu’il soit considéré comme une conduite grave en vertu de la LNT.

On retient donc que la continuité des effets nocifs après une telle altercation joue un rôle important dans la détermination à savoir si le geste représente un geste grave qui suffit à être considéré à titre de harcèlement psychologique.

Malgré cette décision, la jurisprudence a reconnu de nombreuses actions à titre de conduite grave ayant un effet nocif et continu sur l’employé. Ainsi, les situations suivantes peuvent, notamment, constituer du harcèlement psychologique, et ce, même s’ils surviennent à une seule reprise :

  • Un attouchement sexuel commis par une personne en autorité ou même par un collègue;
  • Des voies de fait ou des menaces de mort;
  • L’attitude agressive d’un supérieur;
  • La profération de paroles humiliantes et désobligeantes qu’elles soient à caractère sexuel ou non;
  • La profération de menaces.

Il est certain que dans de telles circonstances, la vigilance de l’employeur est de mise et que ce dernier doit appliquer avec diligence la politique qu’il a mise en place afin de contrer le harcèlement psychologique dans son milieu de travail. Afin d’éviter toute plainte, un employeur se doit donc d’agir rapidement et de prendre des mesures concrètes.  Il est également recommandé à l’employeur d’intervenir rapidement afin de réconcilier, si possible, ses employés afin non seulement de maintenir un climat de travail serein, mais également dans le but de réduire les risques de conséquences futures sur l’employé victime de conduites inappropriées, dont  par exemple, celle de présenter une lésion psychologique à la suite d’une altercation musclée.

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Références

1. Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, [1999] R.J.Q. 2522 (C.A.)
2. BÉLIVEAU, Nathalie-Anne, Les normes du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 718.
3. Champlain Regional College St. Lawrence Campus Teachers' Union et Cégep Champlain — Campus St-Lawrence (Champlain Regional College — St. Lawrence Campus), (Louise Gauthier), D.T.E. 2006T-921, par. 22.
4. Affaire Sherbrooke (Ville de) et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1114 (Réjean Lessard), [2009] R.J.D.T. 1452.
5.  Id., par. 68. [Habachi, page 11]