Une politique adoptée par un employeur peut-elle constituer du harcèlement psychologique?

29-09-2020
Le harcèlement psychologique doit-il résulter du comportement d’individus à proprement parler ou il peut résulter d’une procédure mise en place par un employeur […]
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Deborah Furtado et Élaine Léger, FASKEN
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Femme d'affaires signe un politique interne au bureau

Est-ce qu’une politique adoptée par un employeur peut constituer, à elle seule, du harcèlement psychologique à l’égard des employés? Le harcèlement psychologique doit-il résulter du comportement d’individus à proprement parler ou il peut résulter d’une procédure mise en place par un employeur pour assurer un suivi relatif aux absences de ses travailleurs? 

La Cour d’appel a dû se prononcer sur si le fait d’obliger un salarié à se présenter au travail, en raison d'une attestation médicale prescrivant un arrêt de travail qui n’est pas conforme à sa politique, constitue un exercice abusif des droits de gestion d’un employeur prenant la forme d'un harcèlement professionnel.

Les faits

Imaginez la situation suivante. L’un de vos employés se rend chez le médecin et obtient un certificat médical lui prescrivant un arrêt de travail. Lorsque l’employé vous remet le certificat en question, vous remarquez qu’il ne respecte pas les informations requises en fonction de la politique que vous avez adoptée. Vous indiquez donc au salarié que vous ne pouvez accepter le certificat en question. Vous lui expliquez que, selon votre politique, le certificat médical doit notamment comporter les motifs détaillés justifiant l’arrêt de travail. Vous demandez alors au travailleur de vous rendre un certificat médical conforme à votre politique laquelle est connue de l’ensemble des employés. 

L’employé obtempère et obtient un deuxième certificat médical auprès de son médecin. Malheureusement, vous refusez une deuxième fois ce certificat médical puisque les motifs exigés en vertu de votre politique ne sont toujours pas présents. Vous demandez donc à l’employé de se présenter au travail et de se conformer à son horaire de travail, puisque vous ne pouvez toujours pas accepter ce certificat ni reconnaître son invalidité.

L’employé décide alors de consulter un médecin une troisième fois dans l’espoir d’obtenir un certificat lequel sera conforme et conséquemment, vous l’acceptez. Lors de la remise du troisième certificat d’absence, vous informez l’employé que son absence est dorénavant considérée comme justifiée, mais seulement à compter de la date de ce troisième certificat médical.

En raison de vos demandes répétées pour qu’il se présente au travail, de l'acharnement administratif exercé contre lui  en refusant à deux occasions de reconnaître son incapacité de travailler, et ce, malgré la remise de certificats médicaux affirmant le contraire, votre employé dépose une plainte alléguant avoir subi harcèlement psychologique.

Ce dernier soutient que la procédure que vous avez mise en place pour traiter les demandes d’absences des employés s'écarte d'un exercice raisonnable, normal et humain de la gestion de la présence au travail. À son avis, votre façon de procéder constitue une conduite déraisonnable assimilable à du harcèlement.

L’employé a-t-il raison? Sa plainte de harcèlement psychologique est-elle fondée?

La décision

La Cour d’appel1  devait se prononcer sur un litige similaire au terme duquel elle conclut que la politique d’un employeur qui impose l'obligation pour un employé de fournir des renseignements additionnels relatifs à son état de santé est valide et ne constitue pas du harcèlement à elle seule. 

Les gestionnaires qui ont appliqué ladite politique n'ont jamais harcelé le plaignant. Effectivement, ils n’ont pas menacé, n'ont pas utilisé des paroles blessantes et n'ont pas fait preuve d'intolérance ou d'hostilité en vue de sciemment l'humilier, le dévaloriser ou lui causer des ennuis. 

Les communications entre les représentants de l’employeur ont d'ailleurs cessé dès que le médecin-conseil de l'entreprise a accepté le troisième certificat médical. On ne peut pas conclure que la conduite des gestionnaires représentait une démarche volontairement répétée, à but vexatoire et hostile visant à menacer ou à blesser le plaignant dans son intégrité ou sa dignité.

Contenu supplémentaire

Que retenir de cette décision pour prévenir le harcèlement psychologique lors de la mise en application d’une politique ?

  • Lorsqu’un employeur exerce son droit de gestion, il peut adopter des politiques et des procédures visant à encadrer les absences de ses employés sans que la politique, à elle seule, puisse constituer du harcèlement.
  • Même si l’application d’une politique entraîne des demandes répétées de la part d’un employeur (par exemple, des demandes de certificat médicaux), cela ne constituera pas nécessairement une démarche volontairement répétée à but vexatoire et hostile.
  • Une politique peut toutefois engendrer des situations de harcèlement lorsqu’elle n’est pas appliquée de manière équitable et est plutôt appliquée de façon arbitraire.
  • La conduite de l'employeur par ses représentants lors de la mise en application de la politique peut constituer du harcèlement psychologique, si ceux-ci font preuve d’intolérance dans le but d’humilier ou de dévaloriser l’employé.
  • Rappelons qu’une politique doit être appliquée de façon rigoureuse, claire, constante et non équivoque, afin de limiter les risques d'abus de la part des gestionnaires, lesquels pourraient résulter en le dépôt d'une plainte pour harcèlement en milieu de travail.
  • Rappelons également que la politique doit être légale, non abusive et prévoir les informations médicales justifiées, selon le cas. Ce faisant, les demandes de l’employeur peuvent varier lorsque celui-ci agit à titre d’auto-assureur.

1. Syndicat des travailleurs de l'aluminium d'Alma, local 9490 (Syndicat des métallos, section locale 9490) c. Rio Tinto Alcan, usine Alma, 2016 QCCA 879.