Quand l'intelligence collective redéfinit les salaires

21-09-2023
Autodétermination salariale + intelligence collective = efficacité. L'avenir du travail.
Rédigé par :
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Victoire Bejjani, Pratiques RH
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Quand l'intelligence collective redéfinit les salaires

Dans la future entreprise, l'autodétermination salariale et l'intelligence collective se fusionnent pour créer un environnement de travail agile. Ici, coopération, autonomie et responsabilité convergent pour stimuler une efficacité hors pair.

La détermination des salaires, un enjeu crucial pour les entreprises, se trouve au cœur de deux tendances fascinantes : la transparence augmentée et l'intelligence collective. Le mariage de ces deux mouvements au potentiel de transformer radicalement la manière dont les salaires sont fixés, introduisant une nouvelle ère d'équité et de démocratie dans le monde du travail. 

La transparence augmentée : un nouveau souffle dans le monde des rémunérations 

L'idée d'une transparence augmentée en matière de rémunération fait son chemin et chamboule les conventions. Les entreprises qui délaissent le secret traditionnellement lié aux salaires pour une approche de transparence créent un climat de confiance et de clarté. 

Buffer, une entreprise technologique présente à l'échelle mondiale, dont au Canada, est une figure de proue de cette évolution. Elle a surpris tout le monde en rendant publics les salaires de tous ses employé.e.s. Encore plus audacieux, elle révèle la formule utilisée pour calculer ces rémunérations. Quelle audace ! Cette transparence assure une équité salariale fondée sur des critères objectifs, écartant les facteurs subjectifs comme la capacité de négociation. 

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À noter

Un vent de transparence souffle sur la « Big Apple » ! En effet, dès le 17 septembre 2023, les entreprises de 4 employé.e.s ou plus devront afficher le salaire minimum et maximum pour chaque offre d'emploi. Même les postes à distance pourraient être concernés si liés à New York. Au Québec, rien de tel pour l'instant, mais les pionniers de la transparence pourraient tirer leur épingle du jeu.

SPIRIA, de son côté, a opté pour une approche interactive et a dévoilé une grille salariale conçue avec l'implication de chaque employé, révèle Isabelle Thériault, CRHA, directrice culture et talents. Une initiative qui mérite des applaudissements pour son côté inclusif et participatif. Ils ont réussi à comprendre la position de chacun.e sur l'échelle salariale, à en expliquer les raisons et à envisager ensemble des moyens d'évolution. 

L'importance de la transparence devient évidente lorsqu'on aborde la question de l'égalité entre les sexes.  Cependant, il est essentiel de comprendre que, contrairement à l'équité, la législation au Québec ne lui accorde pas toujours la même attention. 


Selon Statistique Québec, 2021, la rémunération horaire moyenne des femmes étant de 27,39 $ et celle des hommes, de 30,16 $.

Un chiffre qui fait grincer des dents !


La transparence peut jouer un rôle majeur pour effacer ces disparités, mais elle doit être combinée à d'autres approches, comme l'intelligence collective. 

L'intelligence collective réinvente la détermination des salaires 

La détermination des salaires, souvent perçue comme un sujet tabou, se trouve aujourd'hui à l'intersection d'une révolution qui embrasse l'intelligence collective. Un nombre croissant d'entreprises novatrices choisissent d'impliquer tous leurs employé.es dans cette décision cruciale, bousculant ainsi les méthodes traditionnelles qui confient cette tâche à un groupe restreint de dirigeant.es ou de responsables RH. 

LES CINQ « C » DE L'INTELLIGENCE COLLECTIVE : 

  1. Créativité 
  2. Collaboration 
  3. Compassion 
  4. Communication 
  5. Pensée Critique 

Mona Calvet, interviewée en tant que psychosociologue et facilitatrice de changement, offre une perspective précieuse sur ce sujet. Selon elle, l'intégration de l'intelligence collective dans la gestion des salaires nécessite d'abord un changement de culture et de mentalité au sein de l'organisation. Elle note : 

« C'est un sujet qui reste tabou et opaque dans une majorité d'organisations. Les résistances face à la transparence des salaires, les impacts positifs et négatifs de celle-ci, ainsi que le climat de confiance à l’interne sont des éléments clés à prendre en considération. » 

Elle propose diverses manières d'impliquer différentes parties prenantes dans le processus de détermination de l'échelle salariale sans nécessairement impliquer les employé.e.s directement dans la fixation des salaires: 

  • Solliciter l'opinion des membres sur la fréquence de la révision salariale. 
  • Discuter de la méthodologie utilisée pour évaluer la fourchette salariale d'un poste donné. 
  • Considérer la mise en place d'une rémunération globale, en prenant en compte les avantages sociaux, les bonus, etc. 

Pour mieux visualiser ces approches innovantes de détermination des salaires, voici deux exemples :  

Modèle 1 - Officience : Cette entreprise de services franco-vietnamienne a mis en place un système de transparence renforcée

 

  1. Un employé qui estime mériter une augmentation de salaire peut prendre cette décision et la publier sur l'intranet de l'entreprise. 
  2. Avant de publier, l'employé peut consulter des influenceurs internes, identifiés par un logiciel qui trace les relations d'influence au sein de l'entreprise. 
  3. Une fois la décision publiée, tous les employé.e.s  peuvent réagir, approuver, désapprouver, ou poser des questions. 
  4. Pour éviter une surcharge d'informations, un algorithme (similaire à celui de Facebook) sélectionne les annonces qu'un employé peut recevoir à un moment donné. 
Modèle 2 – Makesense : Cette organisation a adopté le modèle de rémunération V4.1 qui est une formule pour calculer le salaire

 

  1. La formule prend en compte une base commune pour tous, un coefficient d'autonomie et un coefficient de contribution selon le rôle de chaque employé. 
  2. Chaque employé peut demander une augmentation de salaire lors d'un comité de développement et obtenir l'approbation d'un comité de rémunération. 

Défis et Opportunités 

Mona Calvet, dans sa vision perspicace, décortique les complexités des changements en cours dans la détermination des salaires au sein des entreprises modernes. Elle met en lumière le labyrinthe de défis et d'avantages associés à l'incorporation de la transparence salariale et de l'intelligence collective. 

« La participation des employé.e.s à un processus aussi crucial n'est pas sans défis. Ces défis sont essentiellement liés au contexte spécifique de l'organisation et à l'inévitable résistance à une telle transformation managériale, » précise-t-elle. Elle souligne l'importance du contexte, y compris la taille de l'entreprise et le climat interne, pour déterminer si des pratiques collaboratives qui intègrent l'intelligence collective sont appropriées ou non. 

Elle illustre ceci en expliquant : « dans un contexte de crise, une grande entreprise pourrait préférer un leadership plus directif pour naviguer efficacement et rapidement à travers les turbulences. » 

Elle évoque aussi une préoccupation majeure liée à la résistance au changement : « une majorité de Québécois.e.s ne se sentent pas à l'aise à l'idée de divulguer leur salaire. » L’experte note que la transparence salariale, inhérente à cette transformation, risque de révéler les déséquilibres au sein de l'organisation, provoquant potentiellement des tensions internes et même des départs. « Ce sujet doit être abordé avec une grande délicatesse », insiste-t-elle. 

Cependant, Mona voit au-delà des difficultés et met en lumière le potentiel transformateur de cette démarche pour les organisations. Elle suggère que « la participation des employé.e.s  à la détermination des salaires peut engendrer un ensemble significatif d'avantages concurrentiels pour l'organisation ». Cependant, elle souligne aussi que cela implique un changement de mentalité qui s'opère sur une longue durée. 

Cette idée d'une transition graduelle vers une plus grande transparence salariale est renforcée par Isabelle Theriault de SPIRIA, qui partage : « cette transparence n'a pas été réalisée du jour au lendemain. Pour y parvenir, il a fallu passer au peigne fin la grille salariale existante, identifier les inégalités potentielles et y remédier. Cette seule étape, loin d'être simple, s'est étendue sur plus d'un an. » 


Autodétermination des salaires : un tournant majeur 

  • Favoriser l'équité en interne, particulièrement pour les femmes, minorités visibles et groupes marginalisés;
  • encourager la formation continue au sein des équipes pour favoriser le développement des compétences;
  • Solidifier la résilience et l'adaptabilité des organisations;
  • Instaurer une culture de reconnaissance et confiance, amplifiant engagement et performance;
  • Dissoudre les silos organisationnels pour une collaboration transversale, améliorant la cohérence et le potentiel d'innovation de l'entreprise. 

*Pour une vue plus nette : en comprenant comment leur rémunération est déterminée, les salarié.e.s gagnent en confiance, favorisant ainsi la collaboration et la réduction des inégalités salariales. De plus, en récompensant la créativité et l'efficacité, cette approche encourage l'innovation et l'apport de nouvelles idées.


L'Intelligence collective : bouleversements en vue pour employés et entreprises ! 

Selon Mme Calvet, pour que les employé.e.s participent activement aux décisions de l'entreprise, il faut revoir la culture de travail. Et ça ne se fait pas du jour au lendemain, ça pourrait prendre pas mal de temps. Les boîtes qui sont habituées à la vieille école, où tout est décidé d'en haut, devraient réviser leur façon de faire pour encourager la collaboration. Et pour cela, les dirigeants, les managers et les équipes doivent développer leurs « soft skills », ces compétences humaines qui ne sont pas toujours enseignées à l'école. 

Et voilà le clou du spectacle : appliquer l'intelligence collective pour définir les salaires, ça pourrait booster l'image de l'entreprise auprès des talents. Mona Calvet pense que c'est un très bon moyen d'attirer, de garder et de motiver les meilleurs dans leur domaine. Elle souligne aussi que les jeunes travailleurs.euses sont de plus en plus attirés par les entreprises qui valorisent la diversité des talents et qui encouragent la participation. 

Et au Québec, ça marche déjà ! Un sondage réalisé par Léger en septembre dernier pour le site d’emplois Talent.com a montré que 90 % des salarié.e.s indiquent qu’il est important de connaître le salaire d’un emploi avant d’y postuler.

Pour les entreprises qui sont prêtes à sauter le pas, Mme Calvet conseille de faire appel à des pros du développement organisationnel et du leadership du changement. Ces expert.e.s peuvent aider à définir une stratégie et à mettre en place un plan d'action personnalisé. Les leaders de l'entreprise, dit-elle, doivent devenir des facilitateurs.trices pour que tout le monde se sente à l'aise de donner son opinion. 

Il ne fait aucun doute que l'intelligence collective a un impact positif sur la satisfaction des employé.e.s et leur engagement envers l'entreprise. Selon Mona Calvet, il existe cinq éléments clés pour la réussite d'une équipe: 

  1. La sécurité psychologique; 
  2. L'interdépendance;
  3. Une structure claire et transparente; 
  4. Un fort sentiment d'appartenance; 
  5. Le sentiment d'avoir un impact. 

Pour elle, l'intelligence collective permet de développer ces cinq points en donnant la possibilité aux employé.e.s  de prendre part aux décisions. N'est-ce pas une perspective intrigante ?

Cependant, tout n'est pas rose. Cette transparence et cette participation peuvent être vues de différentes façons. Certaines personnes trouvent que c'est une grande avancée, d'autres se sentent mal à l'aise ou jalouses. Et comme le souligne une étude du Conseil du Patronat du Québec, presque 40% des employé.e.s  craignent que ça crée des tensions dans l'équipe. Alors, il est important de prendre en compte ces points de vue quand on planifie et met en œuvre ces changements. 

Envisager l'avenir de la fixation des salaires par l'intelligence collective, en particulier dans le contexte du travail à distance, ouvre un nouvel horizon des possibles. Mona Calvet, tout en précisant que la rémunération n'est pas son domaine d'expertise primaire, note que la pandémie et le télétravail ont clairement mis en lumière l'importance de la communication et de la collaboration au sein des organisations. « L'établissement d'un lien de confiance, la promotion du dialogue et la mise en commun de nos talents sont de plus en plus cruciaux pour mener à bien des projets d'envergure et résoudre des enjeux complexes », dit-elle. Selon elle, les pratiques managériales participatives sont indispensables pour permettre aux organisations de s'adapter à leur contexte et de se préparer à l'avenir. 

La transparence et l'intelligence collective sculptent le futur du travail, favorisant équité et engagement.