Harcèlement psychologique : une question d'intention
Déjà une dizaine d'années sont passés depuis l’entrée en vigueur des dispositions en matière de harcèlement psychologique au travail. Et, nonobstant le travail de sensibilisation, de formation et de responsabilisation qui s’est fait dans les organisations depuis les dernières années, encore beaucoup de confusion subsiste quant à ce qui constitue ou non du harcèlement.
Souvent l’argumentaire déployé lors d’un processus d’enquête par l’une ou l’autre des parties, voire par les deux, permet de mesurer le fait qu’il s’agit encore souvent pour plusieurs d’un concept flou et basé sur la perception individuelle ainsi que le caractère malsain, malicieux, sournois et destructeur que l’allégation de harcèlement peut soulever à elle seule. De cela découle un climat de méfiance chez les personnes directement impliquées, et ce, souvent malgré elles.
Plusieurs victimes présumées s’emploient à démontrer que l’intention de l’autre a été de chercher à leur nuire, à les léser ou encore à les détruire. À l’inverse, trop de personnes mises en cause tentent de se disculper en alléguant leur absence d’intention croyant de cette façon qu’elles se verront ainsi rapidement disculpées. Il y a encore beaucoup de travail d’éducation à faire dans les milieux professionnels pour permettre une compréhension commune de ce phénomène.
Quel est le poids réel accordé aux perceptions d’intention? Pour la victime, il peut être rassurant de croire qu’elle a été blessée intentionnellement. Cela peut l’amener à tirer des conclusions à partir de ses propres perceptions. Là réside le caractère dangereux qui en découlera. Marc Twain a dit un jour : « Ce n’est pas tout ce que les gens ignorent qui pose problème; c’est tout ce qu’ils savent et qui n’est pas vrai. » Une communication saine, transparente et respectueuse est donc importante dans les équipes de travail.
Légalement parlant, quel poids l’intention occupera-t-elle dans l’établissement de la conclusion de harcèlement retenue? Pour répondre adéquatement à cette question, il faut se pencher sur la définition élaborée dans les dispositions en matière de harcèlement psychologique au travail à la Loi sur les normes du travail (LNT). Selon celle-ci, c’est essentiellement le caractère vexatoire de la conduite dénoncée, dont divers effets émaneront par la suite en raison de son caractère hostile ou non désiré, qui constituera le fondement de l’analyse de la situation.
Ainsi, il est stipulé de façon explicite dans diverses publications de la Commission des normes du travail que « le caractère vexatoire s’apprécie généralement en fonction de la personne raisonnable qui vit la situation qu’elle dénonce, sans égard aux intentions de la personne qui harcèle1. » L’intention malicieuse du harceleur n’a donc pas à être prouvée.
Par ailleurs, seule la responsabilité de l’employeur sera engagée s’il est établi qu’une personne sous sa direction s’adonne à une forme de harcèlement ainsi que le prévoit l’article 81.19 LNT. À cet effet, la Cour suprême a clairement éliminé la nécessité de prouver l’intention ou les motifs de l’auteur du harcèlement2. Si la notion d’intention est statuée par la loi, pourquoi alors tant de confusion sur cette notion?
Il importe de saisir que, dans la démarche de dénonciation, il appartiendra au salarié se croyant victime d’une telle conduite présumée d’en démontrer le caractère hostile ou non désiré, les effets générés sur lui-même et sur son milieu de travail, ainsi que toutes répercussions sur sa dignité ou son intégrité. Le fardeau de la preuve sera ainsi plus important pour l’employeur, qui de son côté devra établir qu’il a répondu à ses obligations en matière de prévention et d’intervention, par le recours à des moyens raisonnables. Quoi qu’il en soit, il lui incombera la responsabilité d’agir.
Effectivement, l’intention constitue un facteur aggravant, notamment lorsque celle-ci est reconnue. Mais elle ne constitue nullement un critère de la définition sur lequel des conclusions peuvent être tirées. Il y a encore beaucoup de travail à faire en matière de sensibilisation et de formation pour nuancer le concept du harcèlement.
Parmi les 23 880 plaintes déposées par les salariés non syndiqués à la Commission des normes du travail à ce jour, dans 73%3 des cas, l’employeur ou un de ses représentants était désigné comme étant le présumé harceleur. Assumer un rôle de gestion aujourd’hui est empreint de défis qui passent d’abord par la gestion des personnes. Celles-ci interagissent l’une envers l’autre en s’appuyant sur leur bagage émotif personnel, avec les limites et les seuils de tolérance qui le compose. Le gestionnaire ne sera donc pas à l’abri de fausses intentions qui pourraient lui être prêtées dans l’observation de son approche de gestion, notamment en matière disciplinaire. Il n’est donc pas surprenant, encore aujourd’hui, d’observer que le même rapport de plaintes déposées constitue bel et bien du harcèlement, soit une plainte sur cinq. Là encore, la sensibilisation demeure la solution à toutes ces préoccupations.
En tenant compte de tous les coûts inhérents et dérivés qu’une problématique de harcèlement peut générer, éduquer les membres de notre organisation en matière de savoir-être, c’est gagnant! La prévention, l’outillage des personnes en situation de gestion, notamment quant au développement de leurs habiletés relationnelles ainsi que la mise en place de modes alternatifs de règlements lors de différend demeurent la clef du succès pour faire de l’environnement de travail un lieu sain et respectueux où la civilité a toute sa place.